- Quelques clés pour se faire vraiment plaisir -
Décembre 2022
La Côte Fleurie est la patrie des Parisiens, lointaine héritière de la ceinture résidentielle secondaire autour de la capitale. Paysagiste à Deauville et à Paris, je compte ainsi dans ma clientèle de nombreux Parisiens en quête de plaisirs normands. Avec l’épisode Covid, certains viennent d’acheter une propriété en bord de mer, alors que d’autres ont transformé leur maison de vacances en résidence « semi-principale », 3 ou 4 jours par semaine. Dans les deux cas, ils se réjouissent de quitter leur appartement parisien pour profiter d’un jardin normand : à moi de les enchanter !
Pour imaginer un jardin à vivre, vraiment sur mesure, je dois me conformer au mode de vie de ses propriétaires. Je dois comprendre finement la relation qui lie ces familles à leur résidence secondaire, ce qu’ils y cherchent, ce qui les attire dans notre belle Normandie, comment ils souhaitent y vivre. C’est ici ma réflexion du jour.
Une conception de jardin particulière
Le premier point est le phénomène d’intermittence.
Ce jardin, ils y vivront sans y vivre (encore), sans y vivre (tout le temps). Dessiner un jardin de résidence secondaire, c’est déjà engager un mode de collaboration particulier : entre Paris et la Normandie, mes clients réclament une paysagiste flexible, qui les rencontre là où ils sont, sur place le week-end, ou en soirée à Paris. Souvent très occupés par leur vie professionnelle et familiale, ils apprécient qu’on prenne avec indulgence leurs disponibilités décalées et leurs brusques changements d’agenda. Pas de souci : travaillant entre deux villes avec trois enfants, je sais bien ce qu’il en est. Si la maison est en travaux, il faudra concevoir à distance, sans les confronter au terrain, alors qu’ils ne sont pas familiers des lieux, et alors que, sans jardin à Paris, ils ne savent pas encore me dire de quelle manière ils voudront en profiter.
Cette semi-présence, j’en tiendrai aussi compte dans la palette végétale. Quelle mauvaise idée ce serait de planter de splendides pivoines : si les propriétaires s’absentent pendant les 15 jours de floraison, on est bon pour attendre l’année suivante ! Il convient aussi de repérer si les propriétaires passent leurs grandes vacances sur place ou s’ils voyagent l’été. Dans ce cas, on concentre les floraisons sur le printemps (lilas, magnolia, seringat) et l’automne (aster, anémone du Japon). J’aime également miser sur les somptueux feuillages d’automne, avec du ginkgo, érable du Japon, sumac, nandina, ...
Un jardin pour se rapprocher de la nature ... mais pas trop
Une envie centrale du propriétaire parisien, c’est de quitter la ville. Sans pour autant se méprendre sur une fausse ruralité. Les stations balnéaires de la Côte Fleurie sont des produits artificiels ; Deauville était un vaste marais valorisé par le capitalisme foncier du Second Empire. La bourgeoisie parisienne s’y retrouvait « entre-soi » - relisez Marcel Proust -, pour passer l’été loin des miasmes de la ville industrieuse, au frais, en profitant des bains de mer (émergence des thèses hygiénistes, sous l’influence du Dr Oliffe notamment). Le résident secondaire ne s’y trompe pas, il n’achète pas une maison « de campagne », ne pastiche pas les locaux, et tend à fréquenter ses amis habituels plutôt que les éleveurs alentour. Il ne se prend pas pour Marie-Antoinette dans sa bergerie de Versailles.
La résidence secondaire est juste un décalage de la résidence principale, la même mais en mieux. Le jeu social y est reproduit : le jardin peut être d’apparat, on y reçoit comme on reçoit usuellement à Paris. N’oublions pas que si Gabrielle Chanel ouvrait la rue Cambon en 1910, elle inaugurait sa boutique de Deauville dès 1913. Le style mise souvent sur l’élégance, qu’elle soit classique (topiaires travaillées en symétrie, haie rigoureusement taillée, mobilier de qualité) ou d’inspiration anglo-normande (pelouse irréprochable, massifs fleuris, rosiers, hortensias, souvent dans des teintes sobres, le blanc incarnant au mieux ce raffinement urbain).
Conscient d’être parisien plus que normand, mon client cherche néanmoins à se ressourcer loin de la ville. Il voudra que ses enfants jouent sur de la pelouse plutôt que sur une terrasse, même dans un tout petit jardin de ville. Il rêvera d’un potager, qui cumule malheureusement la nécessité d’un entretien constant, et le risque de voir les légumes s’abimer s’il n’est pas venu la bonne semaine. Aux plus gourmands, je pourrai ainsi proposer un parterre d’herbes aromatiques, des arbres fruitiers, des arbustes à baies (cassis ou framboises). On me demandera souvent d'éviter les plantes attirant les abeilles. Un peu de nature, mais pas trop ...
Un aménagement paysager adapté aux usages
Quant à la vie sociale, la résidence secondaire répond souvent au désir d’une maison individuelle, où l’on pourrait s’isoler d’un entourage parisien que l’on ne choisit pas - ses voisins, ses collègues, ses compagnons de métro ou d’embouteillage - pour se replier sur ceux que l’on aime – grandes invitations familiales, moments d’intimité avec la famille nucléaire, temps qualitatif passé avec les amis que l’on convie. Ce désir de vivre en tribu se traduit dans le jardin. Pour ceux qui reçoivent leurs proches en nombre, j’aménage un jardin modulaire : des espaces intimes pour leurs séjours personnels ; d’autres lieux pour accueillir d’immenses tablées en été, des espaces de jeux pour les enfants et leurs amis. Je travaille la question du parking aussi : certaines routes de campagne ne permettent pas le stationnement, et c’est bien 4 ou 5 places de stationnement qu’il faut prévoir d’emblée. Et puis une résidence secondaire, on y va pour se faire plaisir, alors il faut penser à la piscine, au tennis, au terrain de pétanque, à la table de ping pong : comment les aménager ? parfois les cacher ? quel jeu de circulations entre les espaces ? Dans ce besoin de repli social, les propriétaires exigeront souvent que le jardin soit isolé des voisins, même les plus lointains : à moi de prévoir haies, bosquets, palissades pour y parvenir.
Un jardin en liberté
Si la résidence secondaire est la doublure rêvée de la résidence principale, c’est aussi parce qu’on s’y accorde de la liberté. Outre celle que génère une temporalité d’agrément (week-end, vacances), dans la maison normande les règles s’assouplissent, les enfants ont le droit de se coucher tard et d’aller tous seuls à la plage ou dans les prés, on autorise davantage de bêtises et d’explorations, on construit des cabanes régressives, on mange sur le pouce, on se déleste en partie de ses responsabilités d’adulte. Alors, loin de moi l’envie de mettre un fil à la patte à mes clients avec un jardin requérant toute leur attention !
Certes, ils peuvent se mettre en recherche d’un bon jardinier qui soignera la mise en beauté du jardin pour leur arrivée : une tonte parfaite, des massifs désherbés, des trous de taupe rebouchés, une clôture réparée, .... Difficile à trouver, la perle rare, compétente, amoureuse d’un métier pourtant passionnant ! Ce sont souvent des jardiniers à demeure ou à mi-temps, pour peu que la taille du jardin et le budget le permettent. Dans un petit jardin, les propriétaires devront souvent mettre de l’huile de coude.
Je dois réfléchir à une palette végétale simple d’entretien. Ce peut être de vastes étendues de pelouse gérées avec un robot de tonte (pas très écolo ...). Je peux aussi opter pour des zones en prairie naturelle - alors que mes clients rêvent plutôt de prairies fleuries ... lesquelles doivent être totalement renouvelées tous les 3 ans : terre mise à nu et retournée, semis à ne pas piétiner pendant plusieurs semaines, levée à attendre patiemment, tout ce qu’il faut pour les rebuter définitivement !
Je plante alors des arbustes plutôt que des vivaces, plus robustes, plus pérennes. Pour rehausser leur attrait, j’adore marier les feuillages contrastés, associer les formes, et ne pas concentrer l’intérêt sur les fleurs.
Je concentre ma palette végétale sur des floraisons très longues : hydrangea, lagerstroemia, rosier, sauge de Russie, ... Supportant la mi-ombre, très résistant et classé ADR, le rosier Fée des Neiges, qui fleurit du printemps aux premières gelées, trouve souvent sa place dans mes projets. Mes clients sont unanimes !
Pour éviter la corvée de taille, je privilégie des arbres et arbustes qui mesureront la juste taille à l’âge adulte : un peu plus de patience à la pousse qu'avec des thuyas ou des lauriers, mais un peu plus de diversité, et puis quel bonheur d’observer, depuis votre chaise longue, les voisins s’épuiser à contenir la croissance impétueuse de leurs haies « à croissance rapide » !
Et surtout, on ne fait pas de mauvaises économies, on installe un arrosage automatique : indispensable les deux premières années, et ensuite quand viennent les canicules (oui, même en Normandie, il ne pleut pas tant que cela l’été !). Avec une palette végétale adaptée, on ne consommera pas tant d’eau, et on s’évite l’arrosage manuel lorsque nécessaire.
Des racines et des arbres
Je dis souvent que le jardin s’inscrit dans le temps long, en opposition avec un rythme de vie parfois effréné et consumériste. La résidence secondaire, elle aussi, s’inscrit dans la durée. Tandis que la résidence principale répond aux impératifs des étapes de vie - on déménage pour un travail, pour la naissance d’un enfant, pour un changement de situation financière, pour une opportunité immobilière – la résidence secondaire offre une forme d’immuabilité.
Certains propriétaires récupèrent et font revivre la maison de leur enfance : les jeux, les plaisirs, les tablées, les souvenirs se transmettent de génération en génération. Des arbres ont été plantés à leur naissance ? Ils racontent l’histoire, et reproduisent ce geste avec leurs petits-enfants. Comme certains meubles, certains arbres traversent les générations. Beaucoup de Parisiens viennent d’ailleurs, cette maison permet alors d’enraciner la famille, avec des habitudes, des rendez-vous familiaux (une semaine en été, le réveillon de Noël) qui deviendront incontournables.
Si certains clients veulent du jardin « prêt à l’emploi », d’autres sont disposés à planter des bosquets pour leurs vieux jours ou même pour leurs enfants.
Une création paysagère à la mesure des enjeux
On le voit : proportionnellement au temps qu’on y passe, la résidence secondaire est souvent surinvestie émotionnellement comme matériellement. Au paysagiste de répondre à cette promesse de bonheur renouvelé, de faire vivre le rêve. Pour des moments festifs inoubliables, pour des instants de détente précieux, pour le plaisir des petits rituels partagés avec ceux qu’on aime ...
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