janvier 2021
Au commencement, le jardin était utile.
Parce que les plantes étaient utiles. Ceint de murs, le jardin préservait les productions les plus précieuses – herbes médicinales, verger, potager – des prédateurs et des voleurs. Les allées devaient faciliter le travail de la terre ; les espacements étaient calculés pour favoriser la productivité ; les micro-climats formés par les murs encourageaient la pousse ; les points d’eau facilitaient l’irrigation ; les associations végétales étaient déterminées de ce qui s’appelle aujourd’hui la phyto-sociologie, ou l’exploitation des bienfaits mutuels entre les plantes. Parcelle agricole d’exception, le jardin résumait en un mot son origine et sa destination : le soin des plantes.
Le jardin libéra ensuite son imaginaire pour rechercher une esthétique. Et comme dans les compositions artistiques, les plantes, pièces d’eau, allées valurent alors pour leur forme, leur couleur, leur lumière, leur échelle, leur tracé : l’art des jardins était né.
Au point que l’art du jardin fut longtemps associé au dessin et à l’architecture, ainsi qu’en témoignent les compositions rigoureuses de Le Nôtre. La statuaire, les grottes, les escaliers tenaient d’ailleurs bonne place dans ces jardins dits « formels », au détriment du végétal - qui, taillé en topiaire, s’y faisait mur, tapis, ou colonne. La faune, elle, ne trouvait dans ces jardins ni fleurs, ni fruits, ni litière pour se réfugier. Des jardins inertes, impassibles au cortège des saisons, immobiles comme la pierre de l’architecte dont la grandeur traversait glorieusement les années.
Cet amour de la forme reviendra au XXe siècle, comme en témoigne le retour des architectes dans les projets de jardins. Robert Mallet-Stevens dessina lui-même le jardin de la Villa Cavrois, Gabriel Guevrekian celui de la villa de Noailles. Dans le Jardin des Cent Paliers, conçu par Tadao Ando, le génie végétal est parfaitement dédaigné – mais après tout, le Japon n’est-il pas l’apôtre du jardin minéral ? Et finalement, si les plantes ne valent que pour leurs qualités formelles, autant oser l’outrage : des plantes synthétiques et des murs peints en vert, à l’instar des jardins de Martha Schwarz.
Jardin de la Villa Cavrois Jardin de la Villa de Noailles
Jardin des Cent Paliers Jardin des Collages
Une vision du jardin que la prise de conscience écologique pulvérise au tournant du XXIe siècle. Le Parc de la Villette, à Paris, illustre parfaitement ce revirement. En 1983, l’architecte Bernard Tschumi y dessine un plan quadrillé : des points (les 26 folies rouges), des lignes (les allées, le canal, les bâtiments), et des surfaces (les pelouses, les aires de jeux), comme le théorisait le peintre Kandinski dans son manifeste. Un jardin conçu comme un tableau, pour l’amour de l’harmonie et de l’équilibre. Mais en 1999, les « Jardins Passagers », sur une parcelle de La Villette, viennent percuter la proposition originelle : « Cet îlot écologique de 3 000 m2 abrite des écosystèmes variés : bosquet, friche, mare et mur en pierres sèches. Jardins écologiques à vocation pédagogique et solidaire, les jardins passagers servent de supports à des ateliers pédagogiques de sensibilisation à la biodiversité. »
Le vivant revient enfin au cœur des projets. Je dis « enfin », car le spectacle de la vie me trouble, la poésie du hasard m’émeut, la puissance d’un arbre qui se déploie année après année me transporte. L’émotion du vivant nous inspire, et c’est pourquoi l’art des jardins me touche plus que tout autre.
La beauté des jardins peut-elle se passer de ce supplément d’âme ?
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