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Réflexions paysagères Joëlle Roubache
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Réflexions paysagères

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  • Photo du rédacteurJoëlle Roubache

De temps en temps, je m'interroge sur l'avenir de mon métier qui consiste à guider la nature, à transformer l'espace, à l'heure de la prise de conscience environnementale.


Le mois dernier, j’ai refroidi de récents acquéreurs, pleins d’entrain pour transformer leur jardin : une piscine pour profiter de l’été, des murs phoniques pour s’isoler de la route, des terrasses pour se détendre le week-end, des arbres exotiques ...


- « Mais ... pour commencer, avez-vous consulté votre Plan Local d’Urbanisme ? »


Elaboré par la commune, ce document fixe des règles d’aménagement de l’espace qui rendent l'environnement agréable pour tous et préparent l’avenir de la collectivité. D’une certaine façon, le PLU témoigne également de notre rapport au végétal, et à la place que l’on souhaite lui accorder dans l'espace.



Défendre la nature ... mais quid de la création paysagère ?


Avec l’ambition de renaturer l’espace, les PLU fixent de nombreuses limites à la création de jardins. Comme dans d'autres domaines, l'heure est enfin à la responsabilité.


L’objectif de « Zéro Artificialisation Nette des sols », qu'on appelle aussi ZAN (ça y est, je vous ai perdus ? trop de vocabulaire technique d’un coup ? un petit détour par Google ou Chat GPT peut vous sauver, je vous promets que c’est une notion intéressante à découvrir ...) empêche mes clients de construire piscines, abris de jardin, ou terrasses dallées. Pourquoi donc ? En quelques mots : un sol libre conserve les capacités d’infiltration de l’eau de pluie, et protège la microfaune qui se trouve dans les couches supérieures du sol. Pas négligeable ...

Les règles de protection des arbres en place et des talus bocagers, elles, préservent les services écosystémiques et climatiques joués par ces derniers. Encore un sujet important. Le PLU défend aussi les essences indigènes, mais là, je suis plus dubitative.


création de jardin ancienne
Boccace, La Théséide,vers 1460

Car il en est des plantes comme des hommes : après des années d’acclimatation, on pourrait cesser de les considérer comme étrangères, non ? Ainsi, le platane qui jalonne nos routes vient d’Asie. Le rosier n’est pas anglais mais syrien. L’hortensia n’est pas breton mais chinois.

Au bout d’un moment, ces plantes exotiques démontrent leur excellente intégration dans nos écosystèmes, et alors, le sont-elles encore ? C'est pourquoi je préfère parler de plantes « naturelles » plutôt que locales : celles qui se sentent bien chez nous, qui s’enracinent et prolifèrent sans arrosage, sans engrais, sans pesticide ... et sans effort. Ce sont des plantes intéressantes car elles se débrouillent avec mes clients les plus nonchalants sans impacter l’écosystème. Mais ces plantes « naturelles » sont-elles suffisamment ornementales pour un jardin privé ? Aux yeux de mes clients, pas toujours : pas assez de floraison, pas assez longtemps, peu de diversité de couleurs, des branches dénudées en hiver, etc. On peut arguer que c’est mon rôle de paysagiste de faire évoluer leur regard ... mais seulement jusqu’à un certain point. Car mon métier ne vise pas à créer un coin de vraie nature. Ni la nature ni mes clients n'ont besoin de moi pour cela, il suffirait de laisser le terrain en friche. Le "jardin naturel" est une oxymore, même si on peut imaginer un jardin d'inspiration naturelle. Une réflexion pas si simple, en vérité ...



Une haie de thuyas ...





Pour illustration, voici un cas pratique où la création paysagère se sent bien à l’étroit dans les règles du PLU.

Une cliente me demandait de reprendre entièrement sa longue haie de thuyas. Parfait : comme les autres conifères, le thuya ne produit ni fleur ni fruit pour nourrir la faune ; il acidifie le sol autour de lui ; il nécessite d’être taillé pour se maintenir dans les 2 mètres réglementaires ; il est trop dense pour permettre aux oiseaux de nicher. Et en plus, il n’est même pas français. Ouf, n’en jetez plus, cela lui suffit pour être interdit par de nombreux PLU, alors plantons local !




Après examen toutefois, les difficultés apparaissent. D’abord, la liste des « essences indigènes » est bien pauvre en arbustes persistants – ils sont assez plus rares dans la nature - et en arbustes ornementaux – depuis des siècles, nos obtenteurs croisent et greffent artificiellement pour obtenir des variétés plus attrayantes que la variété naturelle. Si nous remplaçons les thuyas par des arbustes caducs, quelle joie en hiver de profiter des voitures sur la route, du bruit de leurs moteurs, du regard curieux des promeneurs, des cambrioleurs qui peuvent sectionner le grillage comme de rien ! Après étude, il s’avéra donc qu’une haie persistante locale serait certes mieux intégrée dans l’écosystème ; mais elle ne serait pas plus jolie, et elle laisserait le regard à nu pendant 5 ans, le temps de pousser. Le tout en dépensant un certain budget ...



Alors, faut - il assumer la dimension artificielle des aménagements paysagers ?



Aménagement paysager et architecture
Le Pont Neuf emballé par Christo, 1985

Créer un jardin, c’est poser un acte. C’est intervenir pour transformer la nature. C’est un geste culturel, éminemment humain. Comme d’emballer le Pont Neuf - merci à Christo pour illustrer mon propos avec cette intervention (artistique), plaquée sur une autre intervention (architecturale) : la main de l’homme, encore et toujours.





Le jardin est lui aussi un objet culturel. Je veux pour cela revenir à l’origine des jardins, et vous parler un peu des jardins de l’Antiquité. (Là, j’en perds encore quelques-uns, c’est assez rare finalement de s’intéresser à la fois aux PLU et à l’histoire antique, ai-je bien fait de réunir le tout dans un seul article ?)

Ces jardins sont les plus anciens que nous connaissons, pour peu que nous les connaissions*. Et depuis l’Antiquité, on dévie des cours d’eau, on importe des plantes dans un milieu étranger, on les hybride, on les taille, et plus encore.



création de jardin antique
Jardins persans de Pasargades, VIe siècle av. JC

*Malheureusement pour l’historien, les jardins traversent bien moins les siècles que les palais, et aucune trace ne subsiste des Jardins suspendus de Babylone dont on n’est pas bien sûr qu’ils aient poussé à Babylone.



Transformer les cours d’eau


Dans le bassin méditerranéen où plonge notre civilisation, un des premiers actes d’aménagement de jardin a été de détourner l’eau pour creuser des bassins décoratifs.

La tombe de Nebamon nous a livré de superbes fresques, dont l’une représente une pièce d’eau entourée de palmiers, figuiers, jujubiers, pistachiers et autres papyrus. Des lotus et des poissons agrémentent le bassin. Les paysages désertiques d’Egypte ou de Mésopotamie invitaient à ce geste d’émerveillement : l’eau à profusion, l’eau maîtrisée. J’imagine qu’un bassin dans le désert pouvait avoir la même magie qu’aujourd’hui, lorsque le téléscope James Webb nous envoie de jolies photos depuis l’espace : l’alliance miraculeuse de la connaissance et de l’ingéniosité. A mon prochain passage au British Museum, promis, je rendrai hommage aux fresques de Nebamon.


création de jardin egypte
Fresque de Nebamon, Thèbes, XIVe siècle av. JC

Ce texte anonyme témoigne de la sensibilité des Egyptiens aux plaisirs du jardin. Je ne résiste pas à un peu de poésie ...


« Le grenadier dit :

Mes grains sont semblables à ses dents,

Et mes fruits sont comme ses seins.

Je suis le plus bel arbre du jardin,

Et en tous temps je demeure.

La bien-aimée et son frère

Se promènent sous mes branches,

Ivres de vins et de liqueurs,

Imprégnés d’huiles et d’essences odorantes. »





Introduire des plantes dans un nouveau milieu



Bien avant Napoléon, Thoutmosis III rapporta de ses campagnes militaires une foule de plantes exotiques, dont les bas-reliefs ornent sa tombe. 63 espèces de Syrie-Palestine constituaient ce qu’on appela son « Jardin Botanique ». Un siècle plus tard, la reine Hatchepsout lançait la première expédition connue à pure visée d’acclimatation botanique : recueillir en Somalie une trentaine d’arbres à encens (basalmiers) qui furent ensuite plantés à Thèbes. Les premiers voyages de plantes documentés ...



aménagement extérieur egypte
Le Jardin Botanique de Thoutmosis, Karnak, XVIe s. avant JC


Créer de nouvelles variétés botaniques


Des jardins de l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui, les vergers ravissent les promeneurs et les gourmands. Pour obtenir de beaux fruits, il faut greffer, croiser ; les fruits du pommier et du cerisier originels vous feraient grimacer de dégoût, sont épars sur l’arbre, et tombent pour bonne partie avant d’atteindre leur maturité. Laisser faire la nature ? Certes non : pour les plantes de production comme pour les plantes d’ornement, on greffe les variétés les unes sur les autres, on observe, on constate, on fait évoluer.



Rêvons un peu avec Homère, qui décrit le verger du roi Alcinoos sous les yeux émerveillés d’Ulysse :

« C'est d'abord un verger dont les hautes ramures, poiriers et grenadiers et pommiers aux fruits d'or et puissants oliviers et figuiers domestiques, portent, sans se lasser ni s'arrêter, leurs fruits ; l'hiver comme l'été, toute l'année, ils donnent ; l'haleine du Zéphyr, qui souffle sans relâche, fait bourgeonner les uns, et les autres donner la jeune poire auprès de la poire vieillie, la pomme sur la pomme, la grappe sur la grappe, la figue sur la figue. Plus loin, chargé de fruits, c'est un carré de vignes, dont la moitié, sans ombre, au soleil se rôtit, et déjà l'on vendange et l'on foule les grappes ; mais dans l'autre moitié, les grappes encore vertes laissent tomber la fleur ou ne font que rougir. »


C’est indéniable, beaucoup de variétés artificielles ne savent pas se reproduire toutes seules et sont sensibles aux maladies, elles nécessitent traitements et soins, elles contribuent au sur-développement de certains insectes au détriment d’autres plus "utiles" à l’environnement, etc. C’est pourquoi l’agriculture bio s’attache aux variétés anciennes, plus robustes. Faisons du bien à la planète, plantons bio, local, naturel.


Mais peut-on faire quelques exceptions à ce bon principe ? Juste le temps d’un mur végétal sur le Musée du quai Branly. Tellement artificiel : des plantes à la verticale, en plein Paris, quelle idée ! Tellement perfusé d'eau et de chimie pour survivre : le budget d’entretien me donnerait envie de pleurer sur ma feuille d’impôts. Mais tellement joli, tellement intéressant, vous ne trouvez pas ?



Mur végétal dans un aménagement extérieur
Musée du quai Branly, Patrick Blanc, 2004


Au final, soyons lucides : l'art du jardin consiste - intrinsèquement et depuis le cours des siècles - à transformer la nature plus ou moins violemment, pas à la préserver. Etre conscient de cela, ce n'est pas renoncer à la conscience écologique, c'est se prémunir du greenwashing. Doit-on pour autant renoncer au jardin ?


En France, les parcs et jardins couvrent 2-3% du territoire, alors que la surface agricole représente près de la moitié du pays, la forêt 31 %. L'agriculture et la foresterie ont un impact sur la nature mais aussi sur la santé. Nous, concepteurs de jardins, ne portons pas les mêmes responsabilités. On pourra objecter que le jardin est souvent le seul accès à la nature des citadins, qu’on ne veut pas montrer à nos enfants des arbustes taillés en cube et des fleurs sans papillons, qu’il a donc une vocation pédagogique aussi. C'est vrai. Il y a donc un équilibre à trouver : offrir du bien-être, respecter la nature, montrer la faune et la flore, et créer une forme de beauté. Tout ensemble. A moins d'une vision utilitariste du monde, qui jugerait que dans cette équation, la beauté ne compte pour rien.


Voilà en tout cas comment je conçois ce métier.

  • Photo du rédacteurJoëlle Roubache

- Quelques clés pour se faire vraiment plaisir -


Décembre 2022



La Côte Fleurie est la patrie des Parisiens, lointaine héritière de la ceinture résidentielle secondaire autour de la capitale. Paysagiste à Deauville et à Paris, je compte ainsi dans ma clientèle de nombreux Parisiens en quête de plaisirs normands. Avec l’épisode Covid, certains viennent d’acheter une propriété en bord de mer, alors que d’autres ont transformé leur maison de vacances en résidence « semi-principale », 3 ou 4 jours par semaine. Dans les deux cas, ils se réjouissent de quitter leur appartement parisien pour profiter d’un jardin normand : à moi de les enchanter !


Pour imaginer un jardin à vivre, vraiment sur mesure, je dois me conformer au mode de vie de ses propriétaires. Je dois comprendre finement la relation qui lie ces familles à leur résidence secondaire, ce qu’ils y cherchent, ce qui les attire dans notre belle Normandie, comment ils souhaitent y vivre. C’est ici ma réflexion du jour.


Une conception de jardin particulière


Le premier point est le phénomène d’intermittence.

Ce jardin, ils y vivront sans y vivre (encore), sans y vivre (tout le temps). Dessiner un jardin de résidence secondaire, c’est déjà engager un mode de collaboration particulier : entre Paris et la Normandie, mes clients réclament une paysagiste flexible, qui les rencontre là où ils sont, sur place le week-end, ou en soirée à Paris. Souvent très occupés par leur vie professionnelle et familiale, ils apprécient qu’on prenne avec indulgence leurs disponibilités décalées et leurs brusques changements d’agenda. Pas de souci : travaillant entre deux villes avec trois enfants, je sais bien ce qu’il en est. Si la maison est en travaux, il faudra concevoir à distance, sans les confronter au terrain, alors qu’ils ne sont pas familiers des lieux, et alors que, sans jardin à Paris, ils ne savent pas encore me dire de quelle manière ils voudront en profiter.

Cette semi-présence, j’en tiendrai aussi compte dans la palette végétale. Quelle mauvaise idée ce serait de planter de splendides pivoines : si les propriétaires s’absentent pendant les 15 jours de floraison, on est bon pour attendre l’année suivante ! Il convient aussi de repérer si les propriétaires passent leurs grandes vacances sur place ou s’ils voyagent l’été. Dans ce cas, on concentre les floraisons sur le printemps (lilas, magnolia, seringat) et l’automne (aster, anémone du Japon). J’aime également miser sur les somptueux feuillages d’automne, avec du ginkgo, érable du Japon, sumac, nandina, ...


Un jardin pour se rapprocher de la nature ... mais pas trop



Une envie centrale du propriétaire parisien, c’est de quitter la ville. Sans pour autant se méprendre sur une fausse ruralité. Les stations balnéaires de la Côte Fleurie sont des produits artificiels ; Deauville était un vaste marais valorisé par le capitalisme foncier du Second Empire. La bourgeoisie parisienne s’y retrouvait « entre-soi » - relisez Marcel Proust -, pour passer l’été loin des miasmes de la ville industrieuse, au frais, en profitant des bains de mer (émergence des thèses hygiénistes, sous l’influence du Dr Oliffe notamment). Le résident secondaire ne s’y trompe pas, il n’achète pas une maison « de campagne », ne pastiche pas les locaux, et tend à fréquenter ses amis habituels plutôt que les éleveurs alentour. Il ne se prend pas pour Marie-Antoinette dans sa bergerie de Versailles.

La résidence secondaire est juste un décalage de la résidence principale, la même mais en mieux. Le jeu social y est reproduit : le jardin peut être d’apparat, on y reçoit comme on reçoit usuellement à Paris. N’oublions pas que si Gabrielle Chanel ouvrait la rue Cambon en 1910, elle inaugurait sa boutique de Deauville dès 1913. Le style mise souvent sur l’élégance, qu’elle soit classique (topiaires travaillées en symétrie, haie rigoureusement taillée, mobilier de qualité) ou d’inspiration anglo-normande (pelouse irréprochable, massifs fleuris, rosiers, hortensias, souvent dans des teintes sobres, le blanc incarnant au mieux ce raffinement urbain).


Conscient d’être parisien plus que normand, mon client cherche néanmoins à se ressourcer loin de la ville. Il voudra que ses enfants jouent sur de la pelouse plutôt que sur une terrasse, même dans un tout petit jardin de ville. Il rêvera d’un potager, qui cumule malheureusement la nécessité d’un entretien constant, et le risque de voir les légumes s’abimer s’il n’est pas venu la bonne semaine. Aux plus gourmands, je pourrai ainsi proposer un parterre d’herbes aromatiques, des arbres fruitiers, des arbustes à baies (cassis ou framboises). On me demandera souvent d'éviter les plantes attirant les abeilles. Un peu de nature, mais pas trop ...


Un aménagement paysager adapté aux usages


Quant à la vie sociale, la résidence secondaire répond souvent au désir d’une maison individuelle, où l’on pourrait s’isoler d’un entourage parisien que l’on ne choisit pas - ses voisins, ses collègues, ses compagnons de métro ou d’embouteillage - pour se replier sur ceux que l’on aime – grandes invitations familiales, moments d’intimité avec la famille nucléaire, temps qualitatif passé avec les amis que l’on convie. Ce désir de vivre en tribu se traduit dans le jardin. Pour ceux qui reçoivent leurs proches en nombre, j’aménage un jardin modulaire : des espaces intimes pour leurs séjours personnels ; d’autres lieux pour accueillir d’immenses tablées en été, des espaces de jeux pour les enfants et leurs amis. Je travaille la question du parking aussi : certaines routes de campagne ne permettent pas le stationnement, et c’est bien 4 ou 5 places de stationnement qu’il faut prévoir d’emblée. Et puis une résidence secondaire, on y va pour se faire plaisir, alors il faut penser à la piscine, au tennis, au terrain de pétanque, à la table de ping pong : comment les aménager ? parfois les cacher ? quel jeu de circulations entre les espaces ? Dans ce besoin de repli social, les propriétaires exigeront souvent que le jardin soit isolé des voisins, même les plus lointains : à moi de prévoir haies, bosquets, palissades pour y parvenir.


Un jardin en liberté


Si la résidence secondaire est la doublure rêvée de la résidence principale, c’est aussi parce qu’on s’y accorde de la liberté. Outre celle que génère une temporalité d’agrément (week-end, vacances), dans la maison normande les règles s’assouplissent, les enfants ont le droit de se coucher tard et d’aller tous seuls à la plage ou dans les prés, on autorise davantage de bêtises et d’explorations, on construit des cabanes régressives, on mange sur le pouce, on se déleste en partie de ses responsabilités d’adulte. Alors, loin de moi l’envie de mettre un fil à la patte à mes clients avec un jardin requérant toute leur attention !

Certes, ils peuvent se mettre en recherche d’un bon jardinier qui soignera la mise en beauté du jardin pour leur arrivée : une tonte parfaite, des massifs désherbés, des trous de taupe rebouchés, une clôture réparée, .... Difficile à trouver, la perle rare, compétente, amoureuse d’un métier pourtant passionnant ! Ce sont souvent des jardiniers à demeure ou à mi-temps, pour peu que la taille du jardin et le budget le permettent. Dans un petit jardin, les propriétaires devront souvent mettre de l’huile de coude.

Je dois réfléchir à une palette végétale simple d’entretien. Ce peut être de vastes étendues de pelouse gérées avec un robot de tonte (pas très écolo ...). Je peux aussi opter pour des zones en prairie naturelle - alors que mes clients rêvent plutôt de prairies fleuries ... lesquelles doivent être totalement renouvelées tous les 3 ans : terre mise à nu et retournée, semis à ne pas piétiner pendant plusieurs semaines, levée à attendre patiemment, tout ce qu’il faut pour les rebuter définitivement !



Je plante alors des arbustes plutôt que des vivaces, plus robustes, plus pérennes. Pour rehausser leur attrait, j’adore marier les feuillages contrastés, associer les formes, et ne pas concentrer l’intérêt sur les fleurs.

Je concentre ma palette végétale sur des floraisons très longues : hydrangea, lagerstroemia, rosier, sauge de Russie, ... Supportant la mi-ombre, très résistant et classé ADR, le rosier Fée des Neiges, qui fleurit du printemps aux premières gelées, trouve souvent sa place dans mes projets. Mes clients sont unanimes !

Pour éviter la corvée de taille, je privilégie des arbres et arbustes qui mesureront la juste taille à l’âge adulte : un peu plus de patience à la pousse qu'avec des thuyas ou des lauriers, mais un peu plus de diversité, et puis quel bonheur d’observer, depuis votre chaise longue, les voisins s’épuiser à contenir la croissance impétueuse de leurs haies « à croissance rapide » !

Et surtout, on ne fait pas de mauvaises économies, on installe un arrosage automatique : indispensable les deux premières années, et ensuite quand viennent les canicules (oui, même en Normandie, il ne pleut pas tant que cela l’été !). Avec une palette végétale adaptée, on ne consommera pas tant d’eau, et on s’évite l’arrosage manuel lorsque nécessaire.


Des racines et des arbres


Je dis souvent que le jardin s’inscrit dans le temps long, en opposition avec un rythme de vie parfois effréné et consumériste. La résidence secondaire, elle aussi, s’inscrit dans la durée. Tandis que la résidence principale répond aux impératifs des étapes de vie - on déménage pour un travail, pour la naissance d’un enfant, pour un changement de situation financière, pour une opportunité immobilière – la résidence secondaire offre une forme d’immuabilité.

Certains propriétaires récupèrent et font revivre la maison de leur enfance : les jeux, les plaisirs, les tablées, les souvenirs se transmettent de génération en génération. Des arbres ont été plantés à leur naissance ? Ils racontent l’histoire, et reproduisent ce geste avec leurs petits-enfants. Comme certains meubles, certains arbres traversent les générations. Beaucoup de Parisiens viennent d’ailleurs, cette maison permet alors d’enraciner la famille, avec des habitudes, des rendez-vous familiaux (une semaine en été, le réveillon de Noël) qui deviendront incontournables.

Si certains clients veulent du jardin « prêt à l’emploi », d’autres sont disposés à planter des bosquets pour leurs vieux jours ou même pour leurs enfants.



Une création paysagère à la mesure des enjeux


On le voit : proportionnellement au temps qu’on y passe, la résidence secondaire est souvent surinvestie émotionnellement comme matériellement. Au paysagiste de répondre à cette promesse de bonheur renouvelé, de faire vivre le rêve. Pour des moments festifs inoubliables, pour des instants de détente précieux, pour le plaisir des petits rituels partagés avec ceux qu’on aime ...



  • Photo du rédacteurJoëlle Roubache

Février 2022



« Viens là, Roxy, sois sage ! Hep ! »


Quand je visite une famille avec un chien, celui-ci s’annonce généralement avant tout le monde, en écrabouillant mon jean’s et mes bottes de ses grosses pattes pleines de terre. Il me tourne autour, jappe, remue frénétiquement la queue, me re-saute dessus : on ne se connaît pas, mais il est très content de me voir. Je n’ai pas l’habitude d’être ainsi fêtée par des inconnus. J’ai beau lui expliquer que je n’ai pas de bonbon, pas de frisbee, que je voudrais serrer la main du client que je ne connais pas encore, rien ne lui fait entendre raison. Il finit par s’éloigner (à peine) avec le regard bas, sous les réprimandes de son maître. Ses doux yeux bruns me font culpabiliser (mince, il se prend une rouste à cause de moi) et j’en veux furtivement au propriétaire, qui s’efforce de m’accueillir au mieux.


D’accord, Roxy, je t’en dois une. Je vais devoir te tailler un jardin sur mesure. Je m’en voudrais de t’empoisonner en plantant des massifs d'euphorbes. Moi, je n’y connais rien aux chiens, je ne sais pas comment ça vit, ce qu’ils aiment ou pas. Mais j’ai eu des jeunes enfants, alors je me dis qu’on peut transposer, non ?


Première règle : Avoir conscience du danger


Un petit, ça renverse les porcelaines Ming ; un chien, ça laboure les massifs qu’on vient de planter.

Quelques stratégies possibles pour éviter les coups de sang (pour les chiens - les enfants, je vous laisse voir) : lui accorder un espace où il pourra creuser à cœur joie, par exemple une zone ensablée avec des joujoux enfouis dedans. Ou plus vicieux : dans chaque massif, poser un filet 5-10 cm sous terre. Le chien se prend les pattes dedans, et n’y revient plus. Vous allez me dire : « Mais comment on fait ensuite pour jardiner, déterrer, planter, amender ... ? ». Il faut juste choisir des filets biodégradables, qui laissent le champ libre après quelques années, quand le chien s’est habitué et que les massifs ont poussé. De manière générale, je privilégie tout de même la plantation de grands sujets, moins fragiles que les jeunes pousses. Et les arbustes résistent toujours mieux que les vivaces, leur masse forme un obstacle naturel et le chien prend l’habitude de ne pas s’y frotter, surtout s’il les voit en place toute l’année.


Deuxième règle : Définir des zones interdites


On apprend très vite à son enfant qu’il n’a pas le droit d’escalader le balcon. On a parfois moins d’autorité sur le chien, notamment lorsqu’il s’agit de protéger son potager où il aime bien fouiner. Grillage, bacs surélevés, cailloux au sol (ce n’est pas très agréable pour ses pattes) sont autant de solutions pour détourner l’attention de votre chien. Et ne comptez pas sur lui pour dévorer les limaces et les escargots qui attaquent vos salades : tous deux sont très nocifs pour lui.



Troisième règle : Il ne faut pas les quitter des yeux


Je ne sais pas pourquoi, les chiens comme les enfants adorent s’enfuir. C’est tellement moche, la vie avec nous ? Ou ils ont besoin de tester notre amour, et de nous entendre hurler leur nom avec des trémolos désespérés ? En tout cas au jardin, c’est simple : la clôture offre une solution radicale, sauf dans les grandes propriétés où le collier GPS s’impose (pour le chien, pas l’enfant). Dans un terrain de plusieurs hectares, j’ai récemment dessiné une vaste zone fermée autour de la maison avec une alternance de clôtures, de talus et de haies : c’est aussi une option.


Quatrième règle : Il faut les occuper


C’est bien connu, c’est quand ils s’ennuient que les enfants vous harcèlent ou inventent les pires bêtises. Et je ne suis pas certaine qu’on puisse neutraliser un chien avec un iPad. Comme les chiens marquent leur territoire, ils adorent courir le long de la clôture : alors qu’on plante usuellement la haie près de la limite de terrain, pourquoi ne pas prévoir une bande de pelouse entre la clôture et la haie ? Le chien peut ainsi s’adonner à la course, faire des tours de terrain comme un athlète, sans déranger personne. Si on dispose d’une zone soustraite au regard, on peut aussi prévoir une aire de jeux pour les chiens : dans les grands magasins de sport, vous trouverez des speedballs, des tunnels, des obstacles, des piscines gonflables et des toboggans qui feront la joie de votre animal pendant que vous sirotez votre Campari en terrasse. Et achetez aussi des jeux à partager avec lui sur la pelouse, parce que de temps en temps, il est plus raisonnable de sortir vos baskets que le Campari, tout de même. En été, un jet d’eau fera déjà l’affaire.



Cinquième règle : Les laisser se défouler


Et oui, c’est important aussi. Malheureusement, Mc Donald’s interdit ses aires de jeux aux chiens. Pour eux, il faut prévoir un coin de jardin vierge, où ils pourront à volonté courir après les papillons, grogner contre les oiseaux, faire pipi où ils le souhaitent et, leur passe-temps favori, creuser, creuser, et creuser encore. Ca tombe bien, j’adore laisser un espace en friche dans les grands jardins : une belle occasion pour profiter de la faune et observer comment la flore se développe spontanément, surtout pour les familles urbaines quand elles vont dans leur résidence secondaire.



Sixième règle : Faire pipi partout, c’est rigolo


Et concernant les chiens, cela laisse des grandes plages brûlées sur la pelouse qui n’y résiste pas, surtout s’ils reviennent toujours au même endroit. Un petit peu d’éducation s’impose : une zone dédiée peut permettre de résoudre la question ; certains propriétaires y consacrent même un autel (une sculpture douteuse qu’on leur a offert, un poteau de bois, ...). Mais pour les chiens comme pour les enfants, un peu d’indulgence et de souplesse finira par s’imposer. Le jardin sera peut-être moins irréprochable que souhaité, mais il faut bien que tous les habitants de la maisonnée y trouvent leur plaisir !


A mes nouveaux amis Winnie, Rock Star, Chichon, et les autres ...



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