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Réflexions paysagères Joëlle Roubache
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Réflexions paysagères

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aménagement piscine Normandie

L’été se termine, et avec la fraîcheur des derniers jours pointe le regret de ne pas en avoir assez profité. C’est souvent le moment où les propriétaires envisagent d’installer une piscine pour l’été prochain. Alors reprenons une petite dose de chaleur et de soleil en nous plongeant dans ce sujet !


Construire une piscine ? Pas seulement !


On n’y pense pas spontanément, mais la piscine est tout un ensemble architectural. Il se compose du bassin, d’une plage (ou d’un espace engazonné qui servira comme tel) et d’un local technique. A cela on peut ajouter une douche, une remise pour ranger les transats, un pool house et sa cuisine d’été, un jacuzzi, un bain suédois pour l’hiver ou tout autre plaisir que votre imagination suggérera. Il peut s’accompagner d’allées, de murets, d’escaliers et requiert de mettre en œuvre une véritable architecture d’extérieur. Ainsi, le projet de piscine devient rapidement plus ambitieux que prévu, nécessitant espace et budget. Le premier sujet à traiter devient alors : où intégrer tout cela sur votre terrain ?


Choisir le bon emplacement de piscine dans votre jardin


Le paysagiste concepteur vous aide à déterminer l’emplacement idéal. Il évalue minutieusement les contraintes, qu'elles soient réglementaires – en Normandie, cela inclut souvent une distance maximale à la maison, et une distance minimale à la limite de propriété – ou qu'elles relèvent de la nature du sol – sur la base d’un rapport établi par un bureau d’études géotechniques.

 

Mais surtout, l’architecte de jardin explore avec vous les différentes possibilités, partageant son expertise tout en respectant vos préférences :


La piscine doit être installée dans un endroit ensoleillé, à l’écart des grands arbres et des bâtiments imposants. Le climat normand, comme vous l’avez remarqué cette année, n’offre pas tant de jours propices à la baignade, alors profitons de chaque rayon qui nous réchauffe !


Extrait d'une étude d'emplacement pour la piscine :

piscine delalande normandie

La plage regarde naturellement le bassin, et baignée par le doux soleil de l’après midi, dont on jouira pleinement. Mais c'est alors que les dilemmes apparaissent !

 

Car il faut aussi offrir à la plage une vue agréable ... en espérant que celle-ci ne se trouve pas plein Nord ! A défaut, c’est le paysagiste qui entrera en scène pour moduler la vue : il masquera un bâtiment voisin ou un mur, ou captera le regard par une composition végétale attirante, créant ainsi un tableau harmonieux et enchanteur.


Ce massif vient d'être planté pour offrir un spectacle coloré depuis les transats :

jardin avec piscine

N’oublions pas d’intégrer la topographie à notre conception : imaginez-vous confortablement installé dans votre transat, appréciant la vue plongeante sur votre jardin (jamais de vue vers le haut !). En présence de dénivelés, nous harmoniserons le terrain avec élégance grâce à des murets et des escaliers, nécessitant quelques études supplémentaires. Un défi passionnant pour votre architecte paysagiste !


Etude pour une piscine en pente dans le Calvados :

construire une piscine en pente

La pente peut se révéler un véritable avantage : elle offre une vue imprenable sur le bassin et le paysage environnant, avec la possibilité d'ajouter une somptueuse piscine à débordement pour un effet spectaculaire.


Mise en route d'une piscine à débordement chez un client :

construire une piscine vue mer

Il est crucial d'évaluer l'impact des vents dominants. Protégez-vous en choisissant judicieusement l'emplacement de votre jardin ou en élevant une barrière telle qu'un mur ou une haie. Je le répète souvent : le jardin c’est un art total ; bien au-delà de la simple esthétique visuelle, il englobe toutes les sensations corporelles. Un jardin ne se capture pas simplement en image, sauf si le photographe possède le talent de retranscrire la chaleur d'un rayon de soleil, le parfum enivrant d'un jasmin en fleur, ou la sécurité apaisante d'une végétation dense...


Ici, la piscine est protégée du vent par un mur de pierres, et des regards par une haie qui lui répond. Des ouvertures laissent toutefois le regard s'échapper vers le lointain.

pisciniste à deauville

Enfin la liaison entre piscine et maison est essentielle : préférez-vous admirer votre piscine depuis votre baie vitrée ou, au contraire, la dissimuler ? Souhaitez-vous un accès direct depuis la maison, pour plonger en peignoir de bon matin, ou plutôt une allée longue et sinueuse permettant aux enfants de s'amuser en toute liberté au fond du jardin, pendant que vous profitez d'un apéritif paisible ?

 

Et cette liaison se réfléchit tant sur le plan fonctionnel qu'esthétique, surtout si la piscine est adossée à la maison : comment faire en sorte qu'elle semble avoir été construite en même temps que la maison, comme une extension naturelle ? Quelles proportions, quelles formes, quels matériaux choisir ?


Les revêtements au jardin


En effet, votre architecte d’extérieur vous guide aussi dans le choix des éclairages et des matériaux, en étroite collaboration avec le pisciniste. Avant tout, il est possible que la réglementation impose certaines couleurs pour le bassin : oubliez les bleus turquoise dignes d’Hollywood, le ciel normand privilégie la sobriété des nuances de gris et de bleu foncé. À cette étape, notre principale préoccupation sera l’harmonie paysagère : comment intégrer au mieux les teintes du bassin et de la plage dans votre jardin ?


Une plage en simple gazon, parée d'une margelle de pierre, serait sans aucun doute l'option la plus élégante. Cependant, cette solution est souvent écartée par mes clients : tout le monde n’aime pas marcher pieds nus dans l’herbe. Sans compter – ahhhh, toujours mon sens pratique ! – que lorsque vous tondrez la pelouse, il faudra écarter tout le mobilier et le remettre en place ensuite.

 

Ici, la terrasse bois était trop petite pour accueillir tous les transats : nous l'avons doublée d'un espace engazonné.


D’autres optent pour le dallage, idéalement en pierre naturelle si votre budget le permet ou le platelage bois. Chez nous en Normandie, ce dernier produit un effet champêtre très plaisant, surtout lorsqu’il patine avec le temps. Mais je n’ai pas encore trouvé d’essence idéale : le bambou et le pin produisent rapidement des échardes, et le bois exotique n’est pas très respectueux de l’environnement ... Enfin, les expériences en bois composites se révèlent décevantes. La brique, que j'aime tant utiliser pour évoquer les façades normandes, reste réservée aux allées ou aux murets, étant trop poreuse pour border le bassin.


Dernier point, le dessin de la plage doit être bien réfléchi : doit-elle recevoir beaucoup de transats ? un coin apéro ? un espace déjeuner ? des enfants ou des adultes ?


Ici, une pergola pour déjeuner au bord de l'eau :

pergola pour une piscine à Deauville

Vigilance : La sécurité de votre aménagement de piscine

 

De nos jours, le volet roulant représente la solution la plus élégante et discrète pour répondre aux normes de sécurité. Néanmoins, il m’arrive aussi d’intervenir sur des piscines existantes, et il convient alors de contrôler l’accès pour les jeunes enfants.

Personnellement, j'ai un faible pour la ganivelle. Quelle que soit leur nature, les barrières devront être bordées de plantes, pour atténuer subtilement lignes et reflets artificiels dans le jardin.


pisciniste calvados


Quelles plantes autour de la piscine ?


Vous l’aurez bien saisi, le travail du paysagiste ne se limite pas à créer des compositions végétales harmonieuses et adaptées au climat.

Cet habillage végétal est néanmoins le point d’orgue de notre étude. A ce stade, nous avons bien mûri le sujet, et les masses végétales s’imposent d’elles-mêmes : contre une palissade, des grimpantes au parfum envoûtant ; pour isoler la piscine, une haie vive et fleurie ; des graminées qui onduleront sous la brise, et bien plus encore. Au cœur du projet, en harmonie avec les matériaux déjà choisis : quelle évocation paysagère vous inspirera le plus ?

 

Pour ma part, j’aime rester en liaison avec nos magnifiques paysages du Calvados, en suggérant une ambiance champêtre qui résonne avec l’âme de notre région. Ou proposer un aménagement paysager à l’élégance contemporaine, notamment pour ma clientèle hôtelière.


piscine contemporaine calvados

Cependant, certains de nos clients succombent au charme d’une atmosphère exotique ou méditerranéenne, riche en senteurs, parfaite pour accompagner une caïpirinha rafraîchissante. Pas d’inquiétude, il est possible de recréer cette ambiance en Normandie avec un choix judicieux de plantes – même si, hélas, il vous faudra renoncer aux citronniers et aux oiseaux de paradis. Découvrez ci-dessous quelques palettes végétales imaginées pour satisfaire les goûts variés de nos clients.


Pour une ambiance tropicale :


larcher piscine


jardin exotique en Normandie

Pour une ambiance méditerranéenne :


piscine ambiance méditerranée

Et comme toujours, soyons astucieux pour créer un jardin agréable et simple à entretenir. Choisissons des arbres qui ne perdent pas trop de feuilles comme le chêne vert, qui, avec le réchauffement climatique, gagne du terrain en Normandie et procure une ombre rafraîchissante en été. Favorisons les feuillages robustes et persistants. Évitons les conifères près de la piscine pour éviter que la résine ne salisse les abords, ou les arbustes à petits fruits noirs (sureau, cotoneaster, sorbier, troène) pour les mêmes raisons. Autre précaution, en maillot de bain, nous n'apprécions guère les insectes : disons adieu aux plantes mellifères près des zones de baignade et attirons plutôt nos précieuses abeilles au fond du jardin !


Et ensuite, comment se déroule un chantier de piscine dans un jardin privé ?


Une fois l’étude réalisée c'est au tour du pisciniste et de son équipe d'artisans de prendre le relais.

Ce type de chantier, il faut bien le reconnaître, n’est pas des plus plaisants : le terrassier creuse d’abord une énorme fosse, et dépose la terre avant de l’évacuer (ou de l’intégrer intelligemment dans votre projet paysager, d'où l'importance de collaborer avec un paysagiste concepteur !). Il creuse aussi des tranchées pour les gaines électriques et le circuit d’eau, une excellente occasion de considérer un forage pour alimenter votre piscine – encore des travaux bien salissants 

Ensuite, le maçon entre en scène avec sa jolie bétonneuse pour construire la structure du bassin, il décharge ses parpaings pour construire le local technique, alors que le carreleur livre ses charmantes palettes de dallage. Pour travailler, les artisans ont besoin de bonnes conditions météorologiques et de temps de séchage approprié, autant dire que le jardin est ravagé pendant quelques semaines ... il faut bien un peu souffrir.

Et puis le ciel s’éclaircit : tout cela est nettoyé, le pisciniste et son électricien mettent la piscine en eau, la filtration, le chauffage, la douche, l’éclairage fonctionnent parfaitement.


piscine en construction deauville

Nous passons le relais à une entreprise de paysage – car on évite la présence simultanée de plusieurs entrepreneurs sur un même chantier, comme vous le savez sûrement si vous avez déjà supervisé des travaux. L’entreprise de paysage peut prendre en charge la maçonnerie paysagère et la plage. Elle s'occupe des plantations, du système d'arrosage automatique, et enfin, elle rectifie tous les dommages en nivelant et en ressemant le gazon. À vous de jouer : commandez le mobilier de vos rêves, les jolis pots décoratifs, et les bouées crocodile ou flamant rose.


Encore trois petites semaines, et le printemps sera là. Le gazon aura poussé, et vous pourrez enfin vous prélasser au bord de votre piscine. C'est à ce moment précis que votre jardin révéle toute sa splendeur, se transformant en un véritable havre de paix. Ça en valait vraiment la peine !


Piscine champêtre en Normandie

piscine champêtre en normandie

Remerciements : Les aquarelles sont de A. Marchand.



  • Photo du rédacteurJoëlle Roubache

De temps en temps, je m'interroge sur l'avenir de mon métier qui consiste à guider la nature, à transformer l'espace, à l'heure de la prise de conscience environnementale.


Le mois dernier, j’ai refroidi de récents acquéreurs, pleins d’entrain pour transformer leur jardin : une piscine pour profiter de l’été, des murs phoniques pour s’isoler de la route, des terrasses pour se détendre le week-end, des arbres exotiques ...


- « Mais ... pour commencer, avez-vous consulté votre Plan Local d’Urbanisme ? »


Elaboré par la commune, ce document fixe des règles d’aménagement de l’espace qui rendent l'environnement agréable pour tous et préparent l’avenir de la collectivité. D’une certaine façon, le PLU témoigne également de notre rapport au végétal, et à la place que l’on souhaite lui accorder dans l'espace.



Défendre la nature ... mais quid de la création paysagère ?


Avec l’ambition de renaturer l’espace, les PLU fixent de nombreuses limites à la création de jardins. Comme dans d'autres domaines, l'heure est enfin à la responsabilité.


L’objectif de « Zéro Artificialisation Nette des sols », qu'on appelle aussi ZAN (ça y est, je vous ai perdus ? trop de vocabulaire technique d’un coup ? un petit détour par Google ou Chat GPT peut vous sauver, je vous promets que c’est une notion intéressante à découvrir ...) empêche mes clients de construire piscines, abris de jardin, ou terrasses dallées. Pourquoi donc ? En quelques mots : un sol libre conserve les capacités d’infiltration de l’eau de pluie, et protège la microfaune qui se trouve dans les couches supérieures du sol. Pas négligeable ...

Les règles de protection des arbres en place et des talus bocagers, elles, préservent les services écosystémiques et climatiques joués par ces derniers. Encore un sujet important. Le PLU défend aussi les essences indigènes, mais là, je suis plus dubitative.


création de jardin ancienne
Boccace, La Théséide,vers 1460

Car il en est des plantes comme des hommes : après des années d’acclimatation, on pourrait cesser de les considérer comme étrangères, non ? Ainsi, le platane qui jalonne nos routes vient d’Asie. Le rosier n’est pas anglais mais syrien. L’hortensia n’est pas breton mais chinois.

Au bout d’un moment, ces plantes exotiques démontrent leur excellente intégration dans nos écosystèmes, et alors, le sont-elles encore ? C'est pourquoi je préfère parler de plantes « naturelles » plutôt que locales : celles qui se sentent bien chez nous, qui s’enracinent et prolifèrent sans arrosage, sans engrais, sans pesticide ... et sans effort. Ce sont des plantes intéressantes car elles se débrouillent avec mes clients les plus nonchalants sans impacter l’écosystème. Mais ces plantes « naturelles » sont-elles suffisamment ornementales pour un jardin privé ? Aux yeux de mes clients, pas toujours : pas assez de floraison, pas assez longtemps, peu de diversité de couleurs, des branches dénudées en hiver, etc. On peut arguer que c’est mon rôle de paysagiste de faire évoluer leur regard ... mais seulement jusqu’à un certain point. Car mon métier ne vise pas à créer un coin de vraie nature. Ni la nature ni mes clients n'ont besoin de moi pour cela, il suffirait de laisser le terrain en friche. Le "jardin naturel" est une oxymore, même si on peut imaginer un jardin d'inspiration naturelle. Une réflexion pas si simple, en vérité ...



Une haie de thuyas ...





Pour illustration, voici un cas pratique où la création paysagère se sent bien à l’étroit dans les règles du PLU.

Une cliente me demandait de reprendre entièrement sa longue haie de thuyas. Parfait : comme les autres conifères, le thuya ne produit ni fleur ni fruit pour nourrir la faune ; il acidifie le sol autour de lui ; il nécessite d’être taillé pour se maintenir dans les 2 mètres réglementaires ; il est trop dense pour permettre aux oiseaux de nicher. Et en plus, il n’est même pas français. Ouf, n’en jetez plus, cela lui suffit pour être interdit par de nombreux PLU, alors plantons local !




Après examen toutefois, les difficultés apparaissent. D’abord, la liste des « essences indigènes » est bien pauvre en arbustes persistants – ils sont assez plus rares dans la nature - et en arbustes ornementaux – depuis des siècles, nos obtenteurs croisent et greffent artificiellement pour obtenir des variétés plus attrayantes que la variété naturelle. Si nous remplaçons les thuyas par des arbustes caducs, quelle joie en hiver de profiter des voitures sur la route, du bruit de leurs moteurs, du regard curieux des promeneurs, des cambrioleurs qui peuvent sectionner le grillage comme de rien ! Après étude, il s’avéra donc qu’une haie persistante locale serait certes mieux intégrée dans l’écosystème ; mais elle ne serait pas plus jolie, et elle laisserait le regard à nu pendant 5 ans, le temps de pousser. Le tout en dépensant un certain budget ...



Alors, faut - il assumer la dimension artificielle des aménagements paysagers ?



Aménagement paysager et architecture
Le Pont Neuf emballé par Christo, 1985

Créer un jardin, c’est poser un acte. C’est intervenir pour transformer la nature. C’est un geste culturel, éminemment humain. Comme d’emballer le Pont Neuf - merci à Christo pour illustrer mon propos avec cette intervention (artistique), plaquée sur une autre intervention (architecturale) : la main de l’homme, encore et toujours.





Le jardin est lui aussi un objet culturel. Je veux pour cela revenir à l’origine des jardins, et vous parler un peu des jardins de l’Antiquité. (Là, j’en perds encore quelques-uns, c’est assez rare finalement de s’intéresser à la fois aux PLU et à l’histoire antique, ai-je bien fait de réunir le tout dans un seul article ?)

Ces jardins sont les plus anciens que nous connaissons, pour peu que nous les connaissions*. Et depuis l’Antiquité, on dévie des cours d’eau, on importe des plantes dans un milieu étranger, on les hybride, on les taille, et plus encore.



création de jardin antique
Jardins persans de Pasargades, VIe siècle av. JC

*Malheureusement pour l’historien, les jardins traversent bien moins les siècles que les palais, et aucune trace ne subsiste des Jardins suspendus de Babylone dont on n’est pas bien sûr qu’ils aient poussé à Babylone.



Transformer les cours d’eau


Dans le bassin méditerranéen où plonge notre civilisation, un des premiers actes d’aménagement de jardin a été de détourner l’eau pour creuser des bassins décoratifs.

La tombe de Nebamon nous a livré de superbes fresques, dont l’une représente une pièce d’eau entourée de palmiers, figuiers, jujubiers, pistachiers et autres papyrus. Des lotus et des poissons agrémentent le bassin. Les paysages désertiques d’Egypte ou de Mésopotamie invitaient à ce geste d’émerveillement : l’eau à profusion, l’eau maîtrisée. J’imagine qu’un bassin dans le désert pouvait avoir la même magie qu’aujourd’hui, lorsque le téléscope James Webb nous envoie de jolies photos depuis l’espace : l’alliance miraculeuse de la connaissance et de l’ingéniosité. A mon prochain passage au British Museum, promis, je rendrai hommage aux fresques de Nebamon.


création de jardin egypte
Fresque de Nebamon, Thèbes, XIVe siècle av. JC

Ce texte anonyme témoigne de la sensibilité des Egyptiens aux plaisirs du jardin. Je ne résiste pas à un peu de poésie ...


« Le grenadier dit :

Mes grains sont semblables à ses dents,

Et mes fruits sont comme ses seins.

Je suis le plus bel arbre du jardin,

Et en tous temps je demeure.

La bien-aimée et son frère

Se promènent sous mes branches,

Ivres de vins et de liqueurs,

Imprégnés d’huiles et d’essences odorantes. »





Introduire des plantes dans un nouveau milieu


Bien avant Napoléon, Thoutmosis III rapporta de ses campagnes militaires une foule de plantes exotiques, dont les bas-reliefs ornent sa tombe. 63 espèces de Syrie-Palestine constituaient ce qu’on appela son « Jardin Botanique ». Un siècle plus tard, la reine Hatchepsout lançait la première expédition connue à pure visée d’acclimatation botanique : recueillir en Somalie une trentaine d’arbres à encens (basalmiers) qui furent ensuite plantés à Thèbes. Les premiers voyages de plantes documentés ...



aménagement extérieur egypte
Le Jardin Botanique de Thoutmosis, Karnak, XVIe s. avant JC


Créer de nouvelles variétés botaniques


Des jardins de l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui, les vergers ravissent les promeneurs et les gourmands. Pour obtenir de beaux fruits, il faut greffer, croiser ; les fruits du pommier et du cerisier originels vous feraient grimacer de dégoût, sont épars sur l’arbre, et tombent pour bonne partie avant d’atteindre leur maturité. Laisser faire la nature ? Certes non : pour les plantes de production comme pour les plantes d’ornement, on greffe les variétés les unes sur les autres, on observe, on constate, on fait évoluer.



Rêvons un peu avec Homère, qui décrit le verger du roi Alcinoos sous les yeux émerveillés d’Ulysse :

« C'est d'abord un verger dont les hautes ramures, poiriers et grenadiers et pommiers aux fruits d'or et puissants oliviers et figuiers domestiques, portent, sans se lasser ni s'arrêter, leurs fruits ; l'hiver comme l'été, toute l'année, ils donnent ; l'haleine du Zéphyr, qui souffle sans relâche, fait bourgeonner les uns, et les autres donner la jeune poire auprès de la poire vieillie, la pomme sur la pomme, la grappe sur la grappe, la figue sur la figue. Plus loin, chargé de fruits, c'est un carré de vignes, dont la moitié, sans ombre, au soleil se rôtit, et déjà l'on vendange et l'on foule les grappes ; mais dans l'autre moitié, les grappes encore vertes laissent tomber la fleur ou ne font que rougir. »


C’est indéniable, beaucoup de variétés artificielles ne savent pas se reproduire toutes seules et sont sensibles aux maladies, elles nécessitent traitements et soins, elles contribuent au sur-développement de certains insectes au détriment d’autres plus "utiles" à l’environnement, etc. C’est pourquoi l’agriculture bio s’attache aux variétés anciennes, plus robustes. Faisons du bien à la planète, plantons bio, local, naturel.


Mais peut-on faire quelques exceptions à ce bon principe ? Juste le temps d’un mur végétal sur le Musée du quai Branly. Tellement artificiel : des plantes à la verticale, en plein Paris, quelle idée ! Tellement perfusé d'eau et de chimie pour survivre : le budget d’entretien me donnerait envie de pleurer sur ma feuille d’impôts. Mais tellement joli, tellement intéressant, vous ne trouvez pas ?



Mur végétal dans un aménagement extérieur
Musée du quai Branly, Patrick Blanc, 2004


Au final, soyons lucides : l'art du jardin consiste - intrinsèquement et depuis le cours des siècles - à transformer la nature plus ou moins violemment, pas à la préserver. Etre conscient de cela, ce n'est pas renoncer à la conscience écologique, c'est se prémunir du greenwashing. Doit-on pour autant renoncer au jardin ?


En France, les parcs et jardins couvrent 2-3% du territoire, alors que la surface agricole représente près de la moitié du pays, la forêt 31 %. L'agriculture et la foresterie ont un impact sur la nature mais aussi sur la santé. Nous, concepteurs de jardins, ne portons pas les mêmes responsabilités. On pourra objecter que le jardin est souvent le seul accès à la nature des citadins, qu’on ne veut pas montrer à nos enfants des arbustes taillés en cube et des fleurs sans papillons, qu’il a donc une vocation pédagogique aussi. C'est vrai. Il y a donc un équilibre à trouver : offrir du bien-être, respecter la nature, montrer la faune et la flore, et créer une forme de beauté. Tout ensemble. A moins d'une vision utilitariste du monde, qui jugerait que dans cette équation, la beauté ne compte pour rien.


Voilà en tout cas comment je conçois ce métier.

  • Photo du rédacteurJoëlle Roubache

- Quelques clés pour se faire vraiment plaisir -


Décembre 2022



La Côte Fleurie est la patrie des Parisiens, lointaine héritière de la ceinture résidentielle secondaire autour de la capitale. Paysagiste à Deauville et à Paris, je compte ainsi dans ma clientèle de nombreux Parisiens en quête de plaisirs normands. Avec l’épisode Covid, certains viennent d’acheter une propriété en bord de mer, alors que d’autres ont transformé leur maison de vacances en résidence « semi-principale », 3 ou 4 jours par semaine. Dans les deux cas, ils se réjouissent de quitter leur appartement parisien pour profiter d’un jardin normand : à moi de les enchanter !


Pour imaginer un jardin à vivre, vraiment sur mesure, je dois me conformer au mode de vie de ses propriétaires. Je dois comprendre finement la relation qui lie ces familles à leur résidence secondaire, ce qu’ils y cherchent, ce qui les attire dans notre belle Normandie, comment ils souhaitent y vivre. C’est ici ma réflexion du jour.


Une conception de jardin particulière


Le premier point est le phénomène d’intermittence.

Ce jardin, ils y vivront sans y vivre (encore), sans y vivre (tout le temps). Dessiner un jardin de résidence secondaire, c’est déjà engager un mode de collaboration particulier : entre Paris et la Normandie, mes clients réclament une paysagiste flexible, qui les rencontre là où ils sont, sur place le week-end, ou en soirée à Paris. Souvent très occupés par leur vie professionnelle et familiale, ils apprécient qu’on prenne avec indulgence leurs disponibilités décalées et leurs brusques changements d’agenda. Pas de souci : travaillant entre deux villes avec trois enfants, je sais bien ce qu’il en est. Si la maison est en travaux, il faudra concevoir à distance, sans les confronter au terrain, alors qu’ils ne sont pas familiers des lieux, et alors que, sans jardin à Paris, ils ne savent pas encore me dire de quelle manière ils voudront en profiter.

Cette semi-présence, j’en tiendrai aussi compte dans la palette végétale. Quelle mauvaise idée ce serait de planter de splendides pivoines : si les propriétaires s’absentent pendant les 15 jours de floraison, on est bon pour attendre l’année suivante ! Il convient aussi de repérer si les propriétaires passent leurs grandes vacances sur place ou s’ils voyagent l’été. Dans ce cas, on concentre les floraisons sur le printemps (lilas, magnolia, seringat) et l’automne (aster, anémone du Japon). J’aime également miser sur les somptueux feuillages d’automne, avec du ginkgo, érable du Japon, sumac, nandina, ...


Un jardin pour se rapprocher de la nature ... mais pas trop



Une envie centrale du propriétaire parisien, c’est de quitter la ville. Sans pour autant se méprendre sur une fausse ruralité. Les stations balnéaires de la Côte Fleurie sont des produits artificiels ; Deauville était un vaste marais valorisé par le capitalisme foncier du Second Empire. La bourgeoisie parisienne s’y retrouvait « entre-soi » - relisez Marcel Proust -, pour passer l’été loin des miasmes de la ville industrieuse, au frais, en profitant des bains de mer (émergence des thèses hygiénistes, sous l’influence du Dr Oliffe notamment). Le résident secondaire ne s’y trompe pas, il n’achète pas une maison « de campagne », ne pastiche pas les locaux, et tend à fréquenter ses amis habituels plutôt que les éleveurs alentour. Il ne se prend pas pour Marie-Antoinette dans sa bergerie de Versailles.

La résidence secondaire est juste un décalage de la résidence principale, la même mais en mieux. Le jeu social y est reproduit : le jardin peut être d’apparat, on y reçoit comme on reçoit usuellement à Paris. N’oublions pas que si Gabrielle Chanel ouvrait la rue Cambon en 1910, elle inaugurait sa boutique de Deauville dès 1913. Le style mise souvent sur l’élégance, qu’elle soit classique (topiaires travaillées en symétrie, haie rigoureusement taillée, mobilier de qualité) ou d’inspiration anglo-normande (pelouse irréprochable, massifs fleuris, rosiers, hortensias, souvent dans des teintes sobres, le blanc incarnant au mieux ce raffinement urbain).


Conscient d’être parisien plus que normand, mon client cherche néanmoins à se ressourcer loin de la ville. Il voudra que ses enfants jouent sur de la pelouse plutôt que sur une terrasse, même dans un tout petit jardin de ville. Il rêvera d’un potager, qui cumule malheureusement la nécessité d’un entretien constant, et le risque de voir les légumes s’abimer s’il n’est pas venu la bonne semaine. Aux plus gourmands, je pourrai ainsi proposer un parterre d’herbes aromatiques, des arbres fruitiers, des arbustes à baies (cassis ou framboises). On me demandera souvent d'éviter les plantes attirant les abeilles. Un peu de nature, mais pas trop ...


Un aménagement paysager adapté aux usages


Quant à la vie sociale, la résidence secondaire répond souvent au désir d’une maison individuelle, où l’on pourrait s’isoler d’un entourage parisien que l’on ne choisit pas - ses voisins, ses collègues, ses compagnons de métro ou d’embouteillage - pour se replier sur ceux que l’on aime – grandes invitations familiales, moments d’intimité avec la famille nucléaire, temps qualitatif passé avec les amis que l’on convie. Ce désir de vivre en tribu se traduit dans le jardin. Pour ceux qui reçoivent leurs proches en nombre, j’aménage un jardin modulaire : des espaces intimes pour leurs séjours personnels ; d’autres lieux pour accueillir d’immenses tablées en été, des espaces de jeux pour les enfants et leurs amis. Je travaille la question du parking aussi : certaines routes de campagne ne permettent pas le stationnement, et c’est bien 4 ou 5 places de stationnement qu’il faut prévoir d’emblée. Et puis une résidence secondaire, on y va pour se faire plaisir, alors il faut penser à la piscine, au tennis, au terrain de pétanque, à la table de ping pong : comment les aménager ? parfois les cacher ? quel jeu de circulations entre les espaces ? Dans ce besoin de repli social, les propriétaires exigeront souvent que le jardin soit isolé des voisins, même les plus lointains : à moi de prévoir haies, bosquets, palissades pour y parvenir.


Un jardin en liberté


Si la résidence secondaire est la doublure rêvée de la résidence principale, c’est aussi parce qu’on s’y accorde de la liberté. Outre celle que génère une temporalité d’agrément (week-end, vacances), dans la maison normande les règles s’assouplissent, les enfants ont le droit de se coucher tard et d’aller tous seuls à la plage ou dans les prés, on autorise davantage de bêtises et d’explorations, on construit des cabanes régressives, on mange sur le pouce, on se déleste en partie de ses responsabilités d’adulte. Alors, loin de moi l’envie de mettre un fil à la patte à mes clients avec un jardin requérant toute leur attention !

Certes, ils peuvent se mettre en recherche d’un bon jardinier qui soignera la mise en beauté du jardin pour leur arrivée : une tonte parfaite, des massifs désherbés, des trous de taupe rebouchés, une clôture réparée, .... Difficile à trouver, la perle rare, compétente, amoureuse d’un métier pourtant passionnant ! Ce sont souvent des jardiniers à demeure ou à mi-temps, pour peu que la taille du jardin et le budget le permettent. Dans un petit jardin, les propriétaires devront souvent mettre de l’huile de coude.

Je dois réfléchir à une palette végétale simple d’entretien. Ce peut être de vastes étendues de pelouse gérées avec un robot de tonte (pas très écolo ...). Je peux aussi opter pour des zones en prairie naturelle - alors que mes clients rêvent plutôt de prairies fleuries ... lesquelles doivent être totalement renouvelées tous les 3 ans : terre mise à nu et retournée, semis à ne pas piétiner pendant plusieurs semaines, levée à attendre patiemment, tout ce qu’il faut pour les rebuter définitivement !



Je plante alors des arbustes plutôt que des vivaces, plus robustes, plus pérennes. Pour rehausser leur attrait, j’adore marier les feuillages contrastés, associer les formes, et ne pas concentrer l’intérêt sur les fleurs.

Je concentre ma palette végétale sur des floraisons très longues : hydrangea, lagerstroemia, rosier, sauge de Russie, ... Supportant la mi-ombre, très résistant et classé ADR, le rosier Fée des Neiges, qui fleurit du printemps aux premières gelées, trouve souvent sa place dans mes projets. Mes clients sont unanimes !

Pour éviter la corvée de taille, je privilégie des arbres et arbustes qui mesureront la juste taille à l’âge adulte : un peu plus de patience à la pousse qu'avec des thuyas ou des lauriers, mais un peu plus de diversité, et puis quel bonheur d’observer, depuis votre chaise longue, les voisins s’épuiser à contenir la croissance impétueuse de leurs haies « à croissance rapide » !

Et surtout, on ne fait pas de mauvaises économies, on installe un arrosage automatique : indispensable les deux premières années, et ensuite quand viennent les canicules (oui, même en Normandie, il ne pleut pas tant que cela l’été !). Avec une palette végétale adaptée, on ne consommera pas tant d’eau, et on s’évite l’arrosage manuel lorsque nécessaire.


Des racines et des arbres


Je dis souvent que le jardin s’inscrit dans le temps long, en opposition avec un rythme de vie parfois effréné et consumériste. La résidence secondaire, elle aussi, s’inscrit dans la durée. Tandis que la résidence principale répond aux impératifs des étapes de vie - on déménage pour un travail, pour la naissance d’un enfant, pour un changement de situation financière, pour une opportunité immobilière – la résidence secondaire offre une forme d’immuabilité.

Certains propriétaires récupèrent et font revivre la maison de leur enfance : les jeux, les plaisirs, les tablées, les souvenirs se transmettent de génération en génération. Des arbres ont été plantés à leur naissance ? Ils racontent l’histoire, et reproduisent ce geste avec leurs petits-enfants. Comme certains meubles, certains arbres traversent les générations. Beaucoup de Parisiens viennent d’ailleurs, cette maison permet alors d’enraciner la famille, avec des habitudes, des rendez-vous familiaux (une semaine en été, le réveillon de Noël) qui deviendront incontournables.

Si certains clients veulent du jardin « prêt à l’emploi », d’autres sont disposés à planter des bosquets pour leurs vieux jours ou même pour leurs enfants.



Une création paysagère à la mesure des enjeux


On le voit : proportionnellement au temps qu’on y passe, la résidence secondaire est souvent surinvestie émotionnellement comme matériellement. Au paysagiste de répondre à cette promesse de bonheur renouvelé, de faire vivre le rêve. Pour des moments festifs inoubliables, pour des instants de détente précieux, pour le plaisir des petits rituels partagés avec ceux qu’on aime ...



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