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  • Photo du rédacteurJoëlle Roubache

La création de jardin, un art révolu ?


De temps en temps, je m'interroge sur l'avenir de mon métier qui consiste à guider la nature, à transformer l'espace, à l'heure de la prise de conscience environnementale.


Le mois dernier, j’ai refroidi de récents acquéreurs, pleins d’entrain pour transformer leur jardin : une piscine pour profiter de l’été, des murs phoniques pour s’isoler de la route, des terrasses pour se détendre le week-end, des arbres exotiques ...


- « Mais ... pour commencer, avez-vous consulté votre Plan Local d’Urbanisme ? »


Elaboré par la commune, ce document fixe des règles d’aménagement de l’espace qui rendent l'environnement agréable pour tous et préparent l’avenir de la collectivité. D’une certaine façon, le PLU témoigne également de notre rapport au végétal, et à la place que l’on souhaite lui accorder dans l'espace.



Défendre la nature ... mais quid de la création paysagère ?


Avec l’ambition de renaturer l’espace, les PLU fixent de nombreuses limites à la création de jardins. Comme dans d'autres domaines, l'heure est enfin à la responsabilité.


L’objectif de « Zéro Artificialisation Nette des sols », qu'on appelle aussi ZAN (ça y est, je vous ai perdus ? trop de vocabulaire technique d’un coup ? un petit détour par Google ou Chat GPT peut vous sauver, je vous promets que c’est une notion intéressante à découvrir ...) empêche mes clients de construire piscines, abris de jardin, ou terrasses dallées. Pourquoi donc ? En quelques mots : un sol libre conserve les capacités d’infiltration de l’eau de pluie, et protège la microfaune qui se trouve dans les couches supérieures du sol. Pas négligeable ...

Les règles de protection des arbres en place et des talus bocagers, elles, préservent les services écosystémiques et climatiques joués par ces derniers. Encore un sujet important. Le PLU défend aussi les essences indigènes, mais là, je suis plus dubitative.


création de jardin ancienne
Boccace, La Théséide,vers 1460

Car il en est des plantes comme des hommes : après des années d’acclimatation, on pourrait cesser de les considérer comme étrangères, non ? Ainsi, le platane qui jalonne nos routes vient d’Asie. Le rosier n’est pas anglais mais syrien. L’hortensia n’est pas breton mais chinois.

Au bout d’un moment, ces plantes exotiques démontrent leur excellente intégration dans nos écosystèmes, et alors, le sont-elles encore ? C'est pourquoi je préfère parler de plantes « naturelles » plutôt que locales : celles qui se sentent bien chez nous, qui s’enracinent et prolifèrent sans arrosage, sans engrais, sans pesticide ... et sans effort. Ce sont des plantes intéressantes car elles se débrouillent avec mes clients les plus nonchalants sans impacter l’écosystème. Mais ces plantes « naturelles » sont-elles suffisamment ornementales pour un jardin privé ? Aux yeux de mes clients, pas toujours : pas assez de floraison, pas assez longtemps, peu de diversité de couleurs, des branches dénudées en hiver, etc. On peut arguer que c’est mon rôle de paysagiste de faire évoluer leur regard ... mais seulement jusqu’à un certain point. Car mon métier ne vise pas à créer un coin de vraie nature. Ni la nature ni mes clients n'ont besoin de moi pour cela, il suffirait de laisser le terrain en friche. Le "jardin naturel" est une oxymore, même si on peut imaginer un jardin d'inspiration naturelle. Une réflexion pas si simple, en vérité ...



Une haie de thuyas ...





Pour illustration, voici un cas pratique où la création paysagère se sent bien à l’étroit dans les règles du PLU.

Une cliente me demandait de reprendre entièrement sa longue haie de thuyas. Parfait : comme les autres conifères, le thuya ne produit ni fleur ni fruit pour nourrir la faune ; il acidifie le sol autour de lui ; il nécessite d’être taillé pour se maintenir dans les 2 mètres réglementaires ; il est trop dense pour permettre aux oiseaux de nicher. Et en plus, il n’est même pas français. Ouf, n’en jetez plus, cela lui suffit pour être interdit par de nombreux PLU, alors plantons local !




Après examen toutefois, les difficultés apparaissent. D’abord, la liste des « essences indigènes » est bien pauvre en arbustes persistants – ils sont assez plus rares dans la nature - et en arbustes ornementaux – depuis des siècles, nos obtenteurs croisent et greffent artificiellement pour obtenir des variétés plus attrayantes que la variété naturelle. Si nous remplaçons les thuyas par des arbustes caducs, quelle joie en hiver de profiter des voitures sur la route, du bruit de leurs moteurs, du regard curieux des promeneurs, des cambrioleurs qui peuvent sectionner le grillage comme de rien ! Après étude, il s’avéra donc qu’une haie persistante locale serait certes mieux intégrée dans l’écosystème ; mais elle ne serait pas plus jolie, et elle laisserait le regard à nu pendant 5 ans, le temps de pousser. Le tout en dépensant un certain budget ...



Alors, faut - il assumer la dimension artificielle des aménagements paysagers ?



Aménagement paysager et architecture
Le Pont Neuf emballé par Christo, 1985

Créer un jardin, c’est poser un acte. C’est intervenir pour transformer la nature. C’est un geste culturel, éminemment humain. Comme d’emballer le Pont Neuf - merci à Christo pour illustrer mon propos avec cette intervention (artistique), plaquée sur une autre intervention (architecturale) : la main de l’homme, encore et toujours.





Le jardin est lui aussi un objet culturel. Je veux pour cela revenir à l’origine des jardins, et vous parler un peu des jardins de l’Antiquité. (Là, j’en perds encore quelques-uns, c’est assez rare finalement de s’intéresser à la fois aux PLU et à l’histoire antique, ai-je bien fait de réunir le tout dans un seul article ?)

Ces jardins sont les plus anciens que nous connaissons, pour peu que nous les connaissions*. Et depuis l’Antiquité, on dévie des cours d’eau, on importe des plantes dans un milieu étranger, on les hybride, on les taille, et plus encore.



création de jardin antique
Jardins persans de Pasargades, VIe siècle av. JC

*Malheureusement pour l’historien, les jardins traversent bien moins les siècles que les palais, et aucune trace ne subsiste des Jardins suspendus de Babylone dont on n’est pas bien sûr qu’ils aient poussé à Babylone.



Transformer les cours d’eau


Dans le bassin méditerranéen où plonge notre civilisation, un des premiers actes d’aménagement de jardin a été de détourner l’eau pour creuser des bassins décoratifs.

La tombe de Nebamon nous a livré de superbes fresques, dont l’une représente une pièce d’eau entourée de palmiers, figuiers, jujubiers, pistachiers et autres papyrus. Des lotus et des poissons agrémentent le bassin. Les paysages désertiques d’Egypte ou de Mésopotamie invitaient à ce geste d’émerveillement : l’eau à profusion, l’eau maîtrisée. J’imagine qu’un bassin dans le désert pouvait avoir la même magie qu’aujourd’hui, lorsque le téléscope James Webb nous envoie de jolies photos depuis l’espace : l’alliance miraculeuse de la connaissance et de l’ingéniosité. A mon prochain passage au British Museum, promis, je rendrai hommage aux fresques de Nebamon.


création de jardin egypte
Fresque de Nebamon, Thèbes, XIVe siècle av. JC

Ce texte anonyme témoigne de la sensibilité des Egyptiens aux plaisirs du jardin. Je ne résiste pas à un peu de poésie ...


« Le grenadier dit :

Mes grains sont semblables à ses dents,

Et mes fruits sont comme ses seins.

Je suis le plus bel arbre du jardin,

Et en tous temps je demeure.

La bien-aimée et son frère

Se promènent sous mes branches,

Ivres de vins et de liqueurs,

Imprégnés d’huiles et d’essences odorantes. »





Introduire des plantes dans un nouveau milieu



Bien avant Napoléon, Thoutmosis III rapporta de ses campagnes militaires une foule de plantes exotiques, dont les bas-reliefs ornent sa tombe. 63 espèces de Syrie-Palestine constituaient ce qu’on appela son « Jardin Botanique ». Un siècle plus tard, la reine Hatchepsout lançait la première expédition connue à pure visée d’acclimatation botanique : recueillir en Somalie une trentaine d’arbres à encens (basalmiers) qui furent ensuite plantés à Thèbes. Les premiers voyages de plantes documentés ...



aménagement extérieur egypte
Le Jardin Botanique de Thoutmosis, Karnak, XVIe s. avant JC


Créer de nouvelles variétés botaniques


Des jardins de l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui, les vergers ravissent les promeneurs et les gourmands. Pour obtenir de beaux fruits, il faut greffer, croiser ; les fruits du pommier et du cerisier originels vous feraient grimacer de dégoût, sont épars sur l’arbre, et tombent pour bonne partie avant d’atteindre leur maturité. Laisser faire la nature ? Certes non : pour les plantes de production comme pour les plantes d’ornement, on greffe les variétés les unes sur les autres, on observe, on constate, on fait évoluer.



Rêvons un peu avec Homère, qui décrit le verger du roi Alcinoos sous les yeux émerveillés d’Ulysse :

« C'est d'abord un verger dont les hautes ramures, poiriers et grenadiers et pommiers aux fruits d'or et puissants oliviers et figuiers domestiques, portent, sans se lasser ni s'arrêter, leurs fruits ; l'hiver comme l'été, toute l'année, ils donnent ; l'haleine du Zéphyr, qui souffle sans relâche, fait bourgeonner les uns, et les autres donner la jeune poire auprès de la poire vieillie, la pomme sur la pomme, la grappe sur la grappe, la figue sur la figue. Plus loin, chargé de fruits, c'est un carré de vignes, dont la moitié, sans ombre, au soleil se rôtit, et déjà l'on vendange et l'on foule les grappes ; mais dans l'autre moitié, les grappes encore vertes laissent tomber la fleur ou ne font que rougir. »


C’est indéniable, beaucoup de variétés artificielles ne savent pas se reproduire toutes seules et sont sensibles aux maladies, elles nécessitent traitements et soins, elles contribuent au sur-développement de certains insectes au détriment d’autres plus "utiles" à l’environnement, etc. C’est pourquoi l’agriculture bio s’attache aux variétés anciennes, plus robustes. Faisons du bien à la planète, plantons bio, local, naturel.


Mais peut-on faire quelques exceptions à ce bon principe ? Juste le temps d’un mur végétal sur le Musée du quai Branly. Tellement artificiel : des plantes à la verticale, en plein Paris, quelle idée ! Tellement perfusé d'eau et de chimie pour survivre : le budget d’entretien me donnerait envie de pleurer sur ma feuille d’impôts. Mais tellement joli, tellement intéressant, vous ne trouvez pas ?



Mur végétal dans un aménagement extérieur
Musée du quai Branly, Patrick Blanc, 2004


Au final, soyons lucides : l'art du jardin consiste - intrinsèquement et depuis le cours des siècles - à transformer la nature plus ou moins violemment, pas à la préserver. Etre conscient de cela, ce n'est pas renoncer à la conscience écologique, c'est se prémunir du greenwashing. Doit-on pour autant renoncer au jardin ?


En France, les parcs et jardins couvrent 2-3% du territoire, alors que la surface agricole représente près de la moitié du pays, la forêt 31 %. L'agriculture et la foresterie ont un impact sur la nature mais aussi sur la santé. Nous, concepteurs de jardins, ne portons pas les mêmes responsabilités. On pourra objecter que le jardin est souvent le seul accès à la nature des citadins, qu’on ne veut pas montrer à nos enfants des arbustes taillés en cube et des fleurs sans papillons, qu’il a donc une vocation pédagogique aussi. C'est vrai. Il y a donc un équilibre à trouver : offrir du bien-être, respecter la nature, montrer la faune et la flore, et créer une forme de beauté. Tout ensemble. A moins d'une vision utilitariste du monde, qui jugerait que dans cette équation, la beauté ne compte pour rien.


Voilà en tout cas comment je conçois ce métier.

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