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Réflexions paysagères Joëlle Roubache
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Réflexions paysagères

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  • Photo du rédacteurJoëlle Roubache

mars 2021

Peinture artistique, les oiseaux au jardin

Comme souvent, notre époque un peu matérialiste regarde la disparition des oiseaux sous l’angle des chiffres. Il faut dire que dans les campagnes françaises, un tiers de la population (alouettes, perdrix, passereaux, hirondelles, ...) a disparu au cours des 15 dernières années – le constat est glaçant. Au-delà de l’alerte pour nos écosystèmes, j’adopte pour ma part un regard plus poétique.


Mon imaginaire convoque le souvenir d’une fresque admirée à Pompéi, ou de Saint François qui prêche aux oiseaux dans le silence de la basilique d’Assise. Une soie décorative aperçue à Tokyo. Et l’oiseau ne m’évoque pas seulement des images, graciles, à travers les siècles et les continents, mais aussi des poèmes, et encore : des aventures ! Tous ces savants qui partirent naviguer dans des conditions épouvantables aux XVIIIe et XIXe siècles pour rapporter en Europe ces échantillons du monde, des oiseaux en cage ou patiemment aquarellés pour être répertoriés, catalogués, et pour agrémenter les appartements et les jardins. On trouve encore des paons en liberté dans le parc Maria-Luisa de Séville ou à Bagatelle.



aménager son jardin pour les oiseaux

L’époque n’est plus à « encager le ciel », selon la merveilleuse expression qu’employait la Villa Medicis pour son récent colloque. Si au jardin, nous ne voulons plus d’oiseaux en volière, nous savons en revanche nous émerveiller de peu en cette période de disette. Nul besoin de ramures enflammées ou d’aigrettes incongrues pour nous enchanter : le passage furtif d’un rossignol suffit à notre bonheur. Dès lors, je réfléchis à l’emploi des oiseaux dans le jardin. Pas sous l’angle utilitaire – dévorer des chenilles nuisibles, transporter les pépins des fruits, etc. car je ne suis pas écologue -, mais bien pour le plaisir qu’ils procurent. Autant dire que pour moi, nichoirs et mangeoires n’ont rien d’ornemental, et de toute façon, je ne m’imagine pas interférer ainsi dans leur mode de vie. Je préfère l’idée de leur créer un habitat attrayant ... et observer.

On y trouverait d’abord de la nourriture. Des vers de terre, des limaces, des fourmis, des araignées, des chenilles : car si les papillons étaient de la partie, ce serait un émerveillement de plus. Sans être entomologue, j’imagine bien qu’un sol jamais travaillé ni foulé leur serait bénéfique, et que quelques buddleias (‘l’arbre à papillons’), centaurées et valérianes qui poussent si facilement dans nos régions pourraient aider. Les carottes sauvages et les orties, qu’affectionnent tant les papillons, viendront bien toutes seules. Les feuilles mortes, les tiges creuses et les vieilles souches devraient fournir aux insectes des abris utiles.

Saviez-vous que certains oiseaux passent des petits animaux aux graines selon la saison ou l’âge ? Il faudrait aussi des fruits pour vaincre le froid, et des arbres pour nicher au printemps. Qu’à cela ne tienne, les fruits d’hiver apportent une touche de couleur dans la grisaille, j’en intègre souvent dans mes palettes végétales : surtout l’aubépine et le cornouiller, mais aussi le sureau, l’amélanchier, le lierre arbustif, le sorbier, ...



Arbre à oiseaux
Arbre fleuri à papillon

Sous la voûte du ciel glacé

le jaune d'une perruche

vibrant


Cela donnerait un coin laissé en friche, un peu moins joli, un rien boudeur, au fond du jardin. De ce fait, un chemin de promenade y conduirait. Avec un peu de surprise : « Tiens, , pourquoi ce tas de plantes à moitié décaties ? » J’imagine une pause dubitative : « Un raté ? » Quelques papillons se poursuivent les uns les autres, comme des enfants joueraient à chat. Attentifs, les pieds ne reprennent pas encore la promenade. « Hmmm, on est bien au soleil ! » Une mésange charbonnière sautille sur un rameau d’arbuste. Juste le temps d’écouter quelques notes, mais pas celui d’extirper son iPhone pour fixer le moment. Une once de frustration, la sensation à la fois pénible et rassurante qu’on ne commande pas tout, et la marche reprend vers un autre coin du jardin. Ou vers une chaise longue pour, le nez tiré vers le ciel, essayer de repérer d’autres oiseaux là-haut.


La semaine dernière, le propriétaire que j’ai rencontré voulait un bout de friche dans son jardin. Je crois que je vais lui parler des oiseaux...



  • Photo du rédacteurJoëlle Roubache

février 2021


Février, encore au cœur de l’hiver. Les jours ont beau s’allonger, la grisaille nous lasse, le ciel nous embrume.

En région parisienne et en Normandie où j’exerce mon métier d’architecte paysagiste, j’entends si souvent : « on voudrait dîner dehors », « profiter du soleil », « planter des oliviers », « et surtout des parfums ». Et pourtant ... là où nous résidons, dans la saison que nous traversons, et parfois, entre les quatre murs qui enserrent nos jardins, il serait sage de savourer la lumière voilée, la fraîcheur qui appelle au plaid, l’obscurité hésitante.

Me voici donc partie pour un ' éloge de l’ombre ' (selon l’expression du Japonais Junichirô Tanizaki, 1933).

L’ombre feutrée de nos jardins, dont les recoins invitent à la quiétude, au repli, parfois à la mélancolie. L’ombre qui se niche à l’abri d’un mur, d’une haie, d’un relief : immobile, l’air s’y fait plus épais comme un souffle suspendu. Sa tiédeur absorbe mollement la variété des textures – feuillage ciselé, vernissé, pruineux, écailleux, gaufré, duveteux, plumeux – qui subissent à d’autres endroits du jardin l’outrage des éclaboussures de soleil.



les plantes du jardin de l'ombre


branches aux coins d'ombres du jardin


Tels d’obscurs géants, les feuillages disproportionnés des ‘plantes d’ombre’ – aralias, hostas, gunneras - convoquent le mystère des sous-bois, ou l’exotisme d’une plongée en forêt tropicale. Oubliés par le soleil, les végétaux concentrent leur chlorophylle en reflets profonds, et déploient leur ramure pour recueillir la moindre parcelle de lumière.


Dépourvu d'événement saillant, le filtre des verts sombres, uniforme, accentue la profondeur des espaces et absorbe le regard. Son mystère, qui suggère plus qu’il n’éclaire, fait place à l’imagination. La curiosité s'aiguise, le corps est happé.


Dans les zones les plus voilées, les plus humides du jardin, la mousse, les fougères, les lichens, les champignons s’emparent des failles. Ces formes primaires de la vie sur Terre composent un jardin des origines qui offre, lorsque que viendra le rude été, un refuge humide, presque maternel.



Et dans les zones où l'obscurité provient à peine de l'ombrage d’un mur ou d’un arbre, la lumière retenue révèle la subtilité des floraisons les plus pâles, qu’une lumière crue écraserait insolemment. Ainsi d’un blanc nacré, cireux, ou carné. La lumière tamisée drape aussi d’un voile d’élégance les couleurs les plus violentes, comme le vermillon.


D'ailleurs, les photos de jardin se prennent souvent dans la lumière apaisée de l’aube ou du crépuscule.

A présent que vient le soir, les nuances d’ombre se font plus saillantes : légère et vive sous le bouleau, opaque et immobile sous le tilleul. De véritables ténèbres, denses, se créent dans le lointain. Dans mes aménagements paysagers, la scénographie nocturne invite à la rêverie, plus qu’elle n’éclaire les plantes ou les décors qui y sont disposés. Surtout lors des soirées d’hiver, quand le jardin vibrant appelle le regard depuis la maison. Et même les lieux les plus fonctionnels : terrasse, escalier, allées, n’échappent pas à mon envie de poésie nocturne.



création d'un jardin de l'ombre

Car mon ombre est douce et vivante. Mon ombre n’est pas la nuit.




  • Photo du rédacteurJoëlle Roubache

janvier 2021


Au commencement, le jardin était utile.

Parce que les plantes étaient utiles. Ceint de murs, le jardin préservait les productions les plus précieuses – herbes médicinales, verger, potager – des prédateurs et des voleurs. Les allées devaient faciliter le travail de la terre ; les espacements étaient calculés pour favoriser la productivité ; les micro-climats formés par les murs encourageaient la pousse ; les points d’eau facilitaient l’irrigation ; les associations végétales étaient déterminées de ce qui s’appelle aujourd’hui la phyto-sociologie, ou l’exploitation des bienfaits mutuels entre les plantes. Parcelle agricole d’exception, le jardin résumait en un mot son origine et sa destination : le soin des plantes.

Le jardin libéra ensuite son imaginaire pour rechercher une esthétique. Et comme dans les compositions artistiques, les plantes, pièces d’eau, allées valurent alors pour leur forme, leur couleur, leur lumière, leur échelle, leur tracé : l’art des jardins était né.

Au point que l’art du jardin fut longtemps associé au dessin et à l’architecture, ainsi qu’en témoignent les compositions rigoureuses de Le Nôtre. La statuaire, les grottes, les escaliers tenaient d’ailleurs bonne place dans ces jardins dits « formels », au détriment du végétal - qui, taillé en topiaire, s’y faisait mur, tapis, ou colonne. La faune, elle, ne trouvait dans ces jardins ni fleurs, ni fruits, ni litière pour se réfugier. Des jardins inertes, impassibles au cortège des saisons, immobiles comme la pierre de l’architecte dont la grandeur traversait glorieusement les années.

Cet amour de la forme reviendra au XXe siècle, comme en témoigne le retour des architectes dans les projets de jardins. Robert Mallet-Stevens dessina lui-même le jardin de la Villa Cavrois, Gabriel Guevrekian celui de la villa de Noailles. Dans le Jardin des Cent Paliers, conçu par Tadao Ando, le génie végétal est parfaitement dédaigné – mais après tout, le Japon n’est-il pas l’apôtre du jardin minéral ? Et finalement, si les plantes ne valent que pour leurs qualités formelles, autant oser l’outrage : des plantes synthétiques et des murs peints en vert, à l’instar des jardins de Martha Schwarz.



Jardin de la Villa Cavrois Jardin de la Villa de Noailles



Jardin des Cent Paliers Jardin des Collages




Conception paysagère

Une vision du jardin que la prise de conscience écologique pulvérise au tournant du XXIe siècle. Le Parc de la Villette, à Paris, illustre parfaitement ce revirement. En 1983, l’architecte Bernard Tschumi y dessine un plan quadrillé : des points (les 26 folies rouges), des lignes (les allées, le canal, les bâtiments), et des surfaces (les pelouses, les aires de jeux), comme le théorisait le peintre Kandinski dans son manifeste. Un jardin conçu comme un tableau, pour l’amour de l’harmonie et de l’équilibre. Mais en 1999, les « Jardins Passagers », sur une parcelle de La Villette, viennent percuter la proposition originelle : « Cet îlot écologique de 3 000 m2 abrite des écosystèmes variés : bosquet, friche, mare et mur en pierres sèches. Jardins écologiques à vocation pédagogique et solidaire, les jardins passagers servent de supports à des ateliers pédagogiques de sensibilisation à la biodiversité. »


Le vivant revient enfin au cœur des projets. Je dis « enfin », car le spectacle de la vie me trouble, la poésie du hasard m’émeut, la puissance d’un arbre qui se déploie année après année me transporte. L’émotion du vivant nous inspire, et c’est pourquoi l’art des jardins me touche plus que tout autre.


La beauté des jardins peut-elle se passer de ce supplément d’âme ?





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