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Réflexions paysagères Joëlle Roubache
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Réflexions paysagères

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Photo du rédacteurJoëlle Roubache

février 2021


Février, encore au cœur de l’hiver. Les jours ont beau s’allonger, la grisaille nous lasse, le ciel nous embrume.

En région parisienne et en Normandie où j’exerce mon métier d’architecte paysagiste, j’entends si souvent : « on voudrait dîner dehors », « profiter du soleil », « planter des oliviers », « et surtout des parfums ». Et pourtant ... là où nous résidons, dans la saison que nous traversons, et parfois, entre les quatre murs qui enserrent nos jardins, il serait sage de savourer la lumière voilée, la fraîcheur qui appelle au plaid, l’obscurité hésitante.

Me voici donc partie pour un ' éloge de l’ombre ' (selon l’expression du Japonais Junichirô Tanizaki, 1933).

L’ombre feutrée de nos jardins, dont les recoins invitent à la quiétude, au repli, parfois à la mélancolie. L’ombre qui se niche à l’abri d’un mur, d’une haie, d’un relief : immobile, l’air s’y fait plus épais comme un souffle suspendu. Sa tiédeur absorbe mollement la variété des textures – feuillage ciselé, vernissé, pruineux, écailleux, gaufré, duveteux, plumeux – qui subissent à d’autres endroits du jardin l’outrage des éclaboussures de soleil.



les plantes du jardin de l'ombre


branches aux coins d'ombres du jardin


Tels d’obscurs géants, les feuillages disproportionnés des ‘plantes d’ombre’ – aralias, hostas, gunneras - convoquent le mystère des sous-bois, ou l’exotisme d’une plongée en forêt tropicale. Oubliés par le soleil, les végétaux concentrent leur chlorophylle en reflets profonds, et déploient leur ramure pour recueillir la moindre parcelle de lumière.


Dépourvu d'événement saillant, le filtre des verts sombres, uniforme, accentue la profondeur des espaces et absorbe le regard. Son mystère, qui suggère plus qu’il n’éclaire, fait place à l’imagination. La curiosité s'aiguise, le corps est happé.


Dans les zones les plus voilées, les plus humides du jardin, la mousse, les fougères, les lichens, les champignons s’emparent des failles. Ces formes primaires de la vie sur Terre composent un jardin des origines qui offre, lorsque que viendra le rude été, un refuge humide, presque maternel.



Et dans les zones où l'obscurité provient à peine de l'ombrage d’un mur ou d’un arbre, la lumière retenue révèle la subtilité des floraisons les plus pâles, qu’une lumière crue écraserait insolemment. Ainsi d’un blanc nacré, cireux, ou carné. La lumière tamisée drape aussi d’un voile d’élégance les couleurs les plus violentes, comme le vermillon.


D'ailleurs, les photos de jardin se prennent souvent dans la lumière apaisée de l’aube ou du crépuscule.

A présent que vient le soir, les nuances d’ombre se font plus saillantes : légère et vive sous le bouleau, opaque et immobile sous le tilleul. De véritables ténèbres, denses, se créent dans le lointain. Dans mes aménagements paysagers, la scénographie nocturne invite à la rêverie, plus qu’elle n’éclaire les plantes ou les décors qui y sont disposés. Surtout lors des soirées d’hiver, quand le jardin vibrant appelle le regard depuis la maison. Et même les lieux les plus fonctionnels : terrasse, escalier, allées, n’échappent pas à mon envie de poésie nocturne.



création d'un jardin de l'ombre

Car mon ombre est douce et vivante. Mon ombre n’est pas la nuit.




Photo du rédacteurJoëlle Roubache

janvier 2021


Au commencement, le jardin était utile.

Parce que les plantes étaient utiles. Ceint de murs, le jardin préservait les productions les plus précieuses – herbes médicinales, verger, potager – des prédateurs et des voleurs. Les allées devaient faciliter le travail de la terre ; les espacements étaient calculés pour favoriser la productivité ; les micro-climats formés par les murs encourageaient la pousse ; les points d’eau facilitaient l’irrigation ; les associations végétales étaient déterminées de ce qui s’appelle aujourd’hui la phyto-sociologie, ou l’exploitation des bienfaits mutuels entre les plantes. Parcelle agricole d’exception, le jardin résumait en un mot son origine et sa destination : le soin des plantes.

Le jardin libéra ensuite son imaginaire pour rechercher une esthétique. Et comme dans les compositions artistiques, les plantes, pièces d’eau, allées valurent alors pour leur forme, leur couleur, leur lumière, leur échelle, leur tracé : l’art des jardins était né.

Au point que l’art du jardin fut longtemps associé au dessin et à l’architecture, ainsi qu’en témoignent les compositions rigoureuses de Le Nôtre. La statuaire, les grottes, les escaliers tenaient d’ailleurs bonne place dans ces jardins dits « formels », au détriment du végétal - qui, taillé en topiaire, s’y faisait mur, tapis, ou colonne. La faune, elle, ne trouvait dans ces jardins ni fleurs, ni fruits, ni litière pour se réfugier. Des jardins inertes, impassibles au cortège des saisons, immobiles comme la pierre de l’architecte dont la grandeur traversait glorieusement les années.

Cet amour de la forme reviendra au XXe siècle, comme en témoigne le retour des architectes dans les projets de jardins. Robert Mallet-Stevens dessina lui-même le jardin de la Villa Cavrois, Gabriel Guevrekian celui de la villa de Noailles. Dans le Jardin des Cent Paliers, conçu par Tadao Ando, le génie végétal est parfaitement dédaigné – mais après tout, le Japon n’est-il pas l’apôtre du jardin minéral ? Et finalement, si les plantes ne valent que pour leurs qualités formelles, autant oser l’outrage : des plantes synthétiques et des murs peints en vert, à l’instar des jardins de Martha Schwarz.



Jardin de la Villa Cavrois Jardin de la Villa de Noailles



Jardin des Cent Paliers Jardin des Collages




Conception paysagère

Une vision du jardin que la prise de conscience écologique pulvérise au tournant du XXIe siècle. Le Parc de la Villette, à Paris, illustre parfaitement ce revirement. En 1983, l’architecte Bernard Tschumi y dessine un plan quadrillé : des points (les 26 folies rouges), des lignes (les allées, le canal, les bâtiments), et des surfaces (les pelouses, les aires de jeux), comme le théorisait le peintre Kandinski dans son manifeste. Un jardin conçu comme un tableau, pour l’amour de l’harmonie et de l’équilibre. Mais en 1999, les « Jardins Passagers », sur une parcelle de La Villette, viennent percuter la proposition originelle : « Cet îlot écologique de 3 000 m2 abrite des écosystèmes variés : bosquet, friche, mare et mur en pierres sèches. Jardins écologiques à vocation pédagogique et solidaire, les jardins passagers servent de supports à des ateliers pédagogiques de sensibilisation à la biodiversité. »


Le vivant revient enfin au cœur des projets. Je dis « enfin », car le spectacle de la vie me trouble, la poésie du hasard m’émeut, la puissance d’un arbre qui se déploie année après année me transporte. L’émotion du vivant nous inspire, et c’est pourquoi l’art des jardins me touche plus que tout autre.


La beauté des jardins peut-elle se passer de ce supplément d’âme ?





Photo du rédacteurJoëlle Roubache

décembre 2020

Concevoir un jardin urbain

Bosco Verticale, Milan


Jardin naturel, mur végétal, ville fertile, urbanisme vert, immeuble-forêt, jardin sauvage, micro-forêt urbaine. Suis-je donc la seule à percevoir des oxymores, là où d’autres entendent des expressions communes ? Ces contre-sens continuent-ils de nous écorcher les oreilles, ou nous sommes-nous définitivement familiarisés avec l’image d’arbres qui s’épanouiraient dans le béton ? de fleurs dans les pochons ? de créations concomitamment humaines ET naturelles ? réfléchies ET spontanées ?


A l’occasion de l’aménagement paysager, mes clients, les villes, la société entière, réclament plus de nature. Exit les jardins taillés, la corvée d’entretien, les variétés horticoles. Le jardin se libère, revendique son autonomie écosystémique, et dans un profond mouvement de rébellion, il devient « rock », et parfois même « punk ». Le moindre mètre carré doit offrir la possibilité de « se ressourcer » dans un « bain de nature ».

Mettre la nature en cage : comme lorsqu’en parcourant Nantes, je suis tombée sur un carré de 15m x 15m que la végétation conquérait année après année, à l’abri d’un grillage, et qu’un écriteau désignait comme « jardin ». Ou comme l’île Derborence au Parc Matisse de Lille : un plateau artificiel de 3500 m2, hissé à 7 m du sol, laissé inaccessible pour que la nature s’y déploie à l’abri des regards et des piétinements.


création de jardin sauvage en ville

Ile Derborence, Lille


Cent ans après l’urinoir de Marcel Duchamp, nous découvrions que c’est le cadre qui fait l’art, l’écriteau qui fait le jardin. La désignation d’un objet comme œuvre artistique suffit à en changer le statut. Et l’expérience d’une banane scotchée par Maurizio Cattelan sur un mur de la FIAC nous fascinait encore l’an dernier.


Forcément, une telle lame de fond donne envie de s’interroger. Peut-on véritablement installer la nature dans la ville ? le sauvage dans le jardin ? Car voici une réflexion qui intervient à un point précis de notre histoire - le sauvage n’ayant pas toujours eu très bonne presse.

Pendant des siècles, la religion a pourchassé le sauvage en nous, nous a dépouillé de notre barbarie pour nous élever moralement. Après la maîtrise de nos âmes, la technique, elle, a mis sous contrôle le sauvage autour de nous : contrôle de nos prédateurs, de la végétation et de la faune qui nous nourrit, de l’énergie, de la géographie, ... Mais voici 50 ans, le constat fut que le contrôle des mœurs opprimait les individus, et que le contrôle de la planète détruisait la vie. Marche arrière toute : le XXIe siècle occidental entend bien ficher la paix aux hommes comme à son environnement. Vivre et laisser vivre. S’émerveiller de voir la vie se dérouler sans guide et sans tuteur, parce qu’elle se suffit à elle-même. D’où le nouvel appétit pour la non-intervention au jardin, et pour le retour des adventices en ville.


aménagement paysager fleuri

En tant qu’architecte paysagiste, je m’interroge : que serait un jardin sauvage ? Un espace au tracé aléatoire où pousseraient des plantes que l’homme n’a ni sélectionnées, ni semées, ni entretenues ? Un lieu où une flore adaptée, car spontanée, accueillerait harmonieusement une faune installée intuitivement, et où une symbiose se mettrait en place pour poursuivre, sans taille ni engrais, ni pesticide, un élan vital sans cesse renouvelé ?


Emouvant : le vivant, cette sourde puissance qui nous dépasse et nous touche. Nécessaire : pour éviter d’abîmer davantage l’environnement, pour créer de la fraîcheur en ville, pour purifier l’eau et les sols, ..


Oui, je partage cette émotion du vivant ; mais elle me submerge bien plus dans la ‘vraie’ nature que dans tout ersatz que j’essaierais de produire au jardin. J’adhère aussi à la nécessité de restaurer des espaces vierges sur nos territoires ; mais peut-être pas à l’échelle d’un jardin de 1000 m2 ou d’une place urbaine. Les espaces périphériques ou ruraux me semblent tellement plus adaptés. Et de toute façon, je n’ai pas l’ambition d’exercer un métier nécessaire ; à l’étalon de notre époque particulière, je qualifierais le jardin de ‘non-essentiel’ ... pour autant que la beauté, l’harmonie ne soit ni nécessaires ni essentielles à l’homme.


Je laisse donc à d’autres le terrain de l’écologie. Je laisse ces notions de ‘biodiversité’, ‘milieu’, ‘écosystème’ coloniser l'entièreté de leurs projets de jardins, alors qu'ils soupoudrent les miens. L’art du jardin consisterait à re-créer un milieu naturel (tiens, revoilà le paradoxe), à force de connaissances botaniques ou entomologiques ? Planter des arbres qui seront maltraités sur les Champs-Elysées ou sur le pont d'Iéna pour abaisser les températures urbaines, est-ce le métier d'un créateur de jardin ? S'il se délecte du vivant, mon art du jardin n’est pas une science : l’art ne répare pas le monde dans sa matérialité, mais en y apportant la grâce, l'étonnement. Alors, j’essaie ...

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